La Chine mondialisée

Place Tiananmen, le 1er octobre 2019
Place Tiananmen, le 1er octobre 2019 ©AFP
Place Tiananmen, le 1er octobre 2019 ©AFP
Place Tiananmen, le 1er octobre 2019 ©AFP
Publicité

Au lendemain du 70ème anniversaire de la République populaire de Chine, les analyses se multiplient sur la montée en puissance du pays et son apparente stabilité.

Même si « le navire de l’économie chinoise traverse une zone de tempête, pris entre le marteau de la guerre commerciale avec les Etats-Unis et l’enclume du surendettement de ses entreprises », Pékin n’a pas dévié de sa stratégie – observe Jean-François Dufour dans Le Monde. « L’Etat et le parti ont renforcé leur contrôle sur les entreprises publiques comme privées, avec pour objectif de substituer les technologies nationales aux technologies importées. » Et le spécialiste de la Chine souligne que « les mois ayant précédé le 1er octobre 2019 ont été marqués par une intense campagne idéologique ». Émilie Frenkiel s’intéresse quant à elle sur le site AOC aux évolutions de l’opinion publique : « les descriptions officielles des démocraties occidentales rongées par des électeurs irresponsables, les inégalités, les discriminations, la corruption et les tensions sociales – visant à transmettre le message à la population chinoise que l’opposition entre un Occident fantasmé et une Chine atrocement autoritaire est caduque – semblent prises avec moins de scepticisme ». La politiste en veut pour preuve, au-delà des enquêtes internationales, le fait que « les étudiants chinois envoyés à l’étranger ont désormais tendance à rentrer au pays (80% rentrent après leurs études aux Etats-Unis) et n’y reviennent pas plus critiques du système chinois, au contraire ». Elle évoque un modèle alternatif à la démocratie qui s’impose après que les économistes, juristes et historiens libéraux ont été réduits au silence : une « méritocratie paternaliste ». Et elle cite le sinologue américain Andrew Nathan qui déclarait en 2015 « la concurrence idéologique entre démocratie et autoritarisme était censée avoir disparue avec la Guerre froide, mais elle est repartie de plus belle avec la montée de la Chine ». De fait, les préoccupations principales des Chinois « sont la corruption des fonctionnaires, les inégalités sociales, la sécurité alimentaire et médicale et la pollution. Or, on les retrouve bel et bien à l’ordre du jour des dirigeants chinois. » D’où le consensus sur « un modèle de développement économique et politique propre à la Chine, n’ayant pas grand chose à envier au modèle démocratique libéral ». 

Economie et géopolitique

« Une fois convertie à l’économie de marché, la Chine devait ne constituer qu’un maillon dans les chaînes de production d’une économie mondiale pilotée par les Etats-Unis et leurs multinationales », résume Philip Golub dans Le Monde diplomatique. Le professeur de relations internationales à l’Université américaine de Paris revient sur l’histoire de l’intégration de la Chine dans l’économie mondiale, d’abord considérée comme une alliée dans la stratégie d’endiguement de l’Union soviétique. Ses gains restaient faibles dans les chaînes de valeur qui vont de la conception au produit final en passant par l’extraction ou la production et l’assemblage des composants. Pour exemple, Apple encaisse près de la moitié de la valeur totale de ses produits quand l’assemblage en Chine ne représente que 2%. Mais du fait de l’appropriation technologique, par le biais des transferts imposés aux investisseurs étrangers et de la modernisation industrielle, la Chine parvient à capter une part croissante de la valeur ajoutée. C’est pourquoi, et quoiqu’il en coûte aux multinationales américaines, Washington cherche à déconstruire les chaînes de production transnationales, voire à rapatrier l’activité. Pour des sociétés sans usines comme Apple ou Nike, cela « réduirait considérablement leurs marges bénéficiaires ». Et c’est ce qui fait dire à Philip S. Golub qu’entre les Etats-Unis et la Chine, la guerre est moins commerciale ou économique que géopolitique.

Publicité

Un régime sur le déclin ?

Pour Thierry Wolton, dans le FigaroVox, la célébration en grande pompe des 70 ans de la République populaire de Chine pourrait bien sonner « le début de la sénescence pour un régime qui se pense inaltérable ». Le spécialiste de l’histoire du communisme garde en mémoire l’effondrement de l’URSS que rien ne permettait de prévoir à l’époque de la Glasnost. La conversion de la Chine à l’économie de marché pourrait faire écran à une telle décomposition, ne serait-ce que par la raréfaction de l’investissement étranger, « devenu un chemin de croix pour nombre de sociétés occidentales (taxes, quotas de production, opacité du management, corruption, etc.) » et par un taux de croissance divisé par deux depuis dix ans. « La guerre des tarifs douaniers déclenchée par Trump pour cause de concurrence déloyale de la part de Pékin (manipulations monétaires, soutiens étatiques aux entreprises nationales en violation des règles de l’OMC), complique la donne pour cette économie largement dépendante de ses exportations. » 

La dernière livraison de la revue Tous urbains (PUF) est consacrée à l’urbanisation galopante de la Chine. Michel Lussault évoque une forme de « géopouvoir », en référence au « biopouvoir » de Foucault : le pouvoir de spatialiser l’activité humaine dans des dispositifs qui s’avèrent prescriptifs. Plusieurs contributions s’attachent au contraire à la résistance des quartiers anciens, où l’exiguïté des logements favorise paradoxalement la vie sociale dans les espaces collectifs.

Par Jacques Munier