La colonisation en débat

Abd el-Kader en visite en France, 1865, à sa gauche Mac Mahon
Abd el-Kader en visite en France, 1865, à sa gauche Mac Mahon ©AFP - Archives Snark
Abd el-Kader en visite en France, 1865, à sa gauche Mac Mahon ©AFP - Archives Snark
Abd el-Kader en visite en France, 1865, à sa gauche Mac Mahon ©AFP - Archives Snark
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Après les déclarations d’Emmanuel Macron sur la colonisation, la question est revenue à l’ordre du jour.

Deux historiens apportent leur contribution au débat dans Le Point : Pierre Vermeren, qui publie chez Belin La France en terre d’islam. Empire colonial et religions (XIXe-XXe siècles), et Olivier Grenouilleau, qui analyse sept récits d’aventuriers français et anglais dans un ouvrage intitulé Quand les Européens découvraient l’Afrique intérieure (Tallandier). Pierre Vermeren évoque « le fantasme du royaume arabe » depuis Bonaparte. La France « a participé à la naissance des nations américaine, allemande, italienne, elle pense, par sa vocation émancipatrice, contribuer sous Napoléon III à celle de la nation arabe ». L’historien spécialiste du Maghreb ajoute l’élément géopolitique : « il s’agit à l’époque de rivaliser avec l’Angleterre, grande puissance musulmane grâce aux Indes, et l’Allemagne, qui tisse des liens étroits avec l’Empire ottoman. » Mais l’entreprise a aussi une dimension utopique, portée par les saint-simoniens qui font la politique arabe de l’empereur. « Napoléon III envisage un roi arabe qui serait cependant le suzerain de la France. » L’émir Abd el-Kader s’y refuse, lui qui avait lancé le djihad contre la conquête de l’Algérie. Mais le « rêve arabe » ne disparaît pas pour autant, il persiste sous d’autres formes jusqu’à de Gaulle et sa fameuse « politique arabe ». Après 1871, observe Pierre Vermeren, « on bascule progressivement vers une Algérie des colons », qui n’est plus celle des militaires qui avaient su établir un modus vivendi avec les notables et les chefs de tribu. Ceux-ci désarmés, souvent dépossédés de leurs meilleures terres, pratiquent alors l’islam dominant dans les campagnes, confrérique et soufi, incluant le culte des saints. Mais au tournant du XXe siècle apparaît dans ces régions l’islam salafiste, né d’une volonté de réforme et de retour à la tradition orchestrée par les oulémas d’Al-Azhar, au Caire, suite à l’invasion de l’Égypte par les Anglais en 1882, et à l’affaiblissement de l’Empire ottoman. Les Français ne l’ont pas vu venir, à part des personnalités comme Charles de Foucauld ou à sa suite, l’orientaliste Louis Massignon. Une erreur d’appréciation qui va perdurer pendant la guerre d’Algérie. Deux tendances animent l’anticolonialisme : l’une, politique et syndicale consiste à retourner contre l’ennemi colonial les armes qu’il lui a transmises ; l’autre salafiste et identitaire s’emploie à former « les élites urbaines capables de parler au peuple. Les deux tendances convergent après 1962, année où le FLN, constitué surtout de soldats car beaucoup d’intellectuels ont perdu la vie durant la guerre, confie les clés de la société à ces salafistes ». L’historien souligne que « dès les années 1950, dans les zones de combat des Aurès ou de Kabylie, il régnait déjà un ordre salafiste (appelé alors islahiste) dans certains maquis : pas d’alcool, pas de musique, interdiction de fumer, sous peine de mort. »

Colonialisme année zéro : Olivier Grenouilleau revient quant à lui sur l’aventure des découvreurs de l’Afrique intérieure

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« Des hommes jeunes, portés par des envies d’ailleurs, qui s’en vont à l’aventure, parfois tout seuls, sans mandat officiel de leur État ». Animés par un souci abolitionniste, ils découvrent avec consternation que l’esclavage est pratiqué par les chefs africains. Et s’ils dénoncent des clichés : « l’Africain n’est ni indolent ni paresseux mais travailleur et hospitalier », pour ces voyageurs pressés par l’immensité du continent à découvrir mais très dépendants des chefferies locales dans leur périple, l’attitude des autochtones semble terriblement paralysante. Ce qui leur fournit au passage l’occasion de descriptions ethnographiques détaillées, voire d’une anthropologie inverse : « les Africains pensent que les Européens sont cannibales, qu’ils vivent sous la mer, qu’ils sont dotés de pouvoirs très importants ». Ce dernier trait va d’ailleurs faciliter leur progression dans le continent noir, en particulier pour les plus solitaires et désarmés d’entre eux. Car « les puissances africaines sont encore très présentes militairement ».

L’intention est alors de rapporter des connaissances sur ce continent inexploré

Et de toute nature, notamment agricoles et botaniques. Pour nombre d’entre ces explorateurs, l’idée c’est aussi de remplacer la traite des esclaves par le commerce : « l’échange de produits du travail libre des Européens et des Africains ». Parmi ces aventuriers éclairés, il y a Jean-Thadée Dybowski, le héros rimbaldien du roman de Thomas B. Reverdy, avec la complicité du jeune historien Sylvain Venayre : Jardin des colonies (Flammarion). Jean-Thadée Dybowski, né à Charonne – un signe pour ceux qui s’intéressent au passé colonial de la France – est allé dans le sud algérien, au Tchad et au Congo. La mission qu’il s’est assignée : « constituer de nombreuses et très sérieuses collections botaniques, zoologiques et ethnographiques », écrit-il au ministre de l’Instruction publique, dont il espère une participation au financement. Les auteurs ont retrouvé la trace du personnage en bordure du bois de Vincennes, près de l’actuel Musée de l’histoire de l’immigration, dans le « jardin colonial » qu’il avait réalisé. Là même où fut construite la première mosquée en France.

Par Jacques Munier

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