

Le souci de la condition animale se développe, comme on peut le voir notamment avec l’extension du domaine des Human-Animal Studies
La sociologie, la psychologie, la philosophie et l’éthique, l’histoire, les sciences cognitives et non plus seulement l’écologie ou l’éthologie – l’étude des comportements animaux – sont désormais concernées. Dans Marianne on peut découvrir les linéaments d’une « sociologie canine »: « le chien est passé du rôle d’objet utilitaire à celui de quasi-sujet – affirme Christophe Blanchard, auteur d’un ouvrage sur Les Maîtres expliqués à leur chiens. Médor semble être devenu le tuteur incontournable de notre existence, facilitant certaines de nos interactions sociales, suppléant les carences de nos vies affectives ». Une analyse confirmée dans l’article de Perrine Cherchève par des témoignages qui évoquent « l’éponge à névroses » ou le lien social, quand on fait la même promenade que d’autres cynophiles, qui commencent souvent par se donner du patronyme de leurs canidés… Mais dans les foyers français le chien est détrôné par le chat et le poisson rouge, celui-ci loin devant eux avec plus de 34 millions d’individus. Il n’a quant à lui jamais suscité de passion littéraire, contrairement au chat. Florence Burgat, auteure de plusieurs ouvrages sur la question animale lui consacre des "miettes philosophiques" à paraître le 25 mai chez Rivages. Et chez le même éditeur, à la même date, la romancière Stéphanie Hochet s’essaie à un Éloge du chat. Claude Lévi-Strauss évoque dans Tristes tropiques le regard si particulier de l’animal, « clin d’œil alourdi de patience, de sérénité et de pardon réciproque ». Et à sa voix énigmatique Baudelaire se dit sensible : « Non, il n’est pas d’archet qui morde / Sur mon cœur, parfait instrument, / Et fasse plus royalement / Chanter sa plus vibrante corde / Que ta voix, chat mystérieux / Chat séraphique, chat étrange »
La revue Spirale qui s’occupe des tout-petits enfants aborde les différents aspects de leur relation aux animaux dans sa dernière livraison
Freud estimait que « l’enfant ne présente pas encore la moindre trace de l’orgueil qui, par la suite, pousse l’homme civilisé à séparer sa propre nature de tout le règne animal » et qu’il « accorde à l’animal d’être pleinement égal ». Sandie Bélair a coordonné ce N° de la revue et elle insiste sur l’importance des interactions du petit de 0 à 3 ans avec un animal familier, qui « contribuent à son développement cognitif, relationnel, social et affectif ». Elle qui pratique la psychothérapie avec le cheval évoque le pouvoir de la communication non-verbale qui rapproche les tout-petits des animaux, et la valeur thérapeutique d’interactions dites « accordées ». L’éthologie apporte également son éclairage sur la richesse de ces relations mimétiques avec des animaux fortement céphalisés et dotés du système limbique responsable des émotions. L’homme est un néoténique, il conserve des caractères juvéniles même à l’âge adulte et parmi eux le goût du jeu. Les chats et les chiens présentent la même aptitude à joindre l’utile à l’agréable dans l’apprentissage des comportements par le jeu. D’où leur empathie réciproque dès le plus jeune âge, et les bienfaits pour la croissance psychomotrice et cognitive de ces échanges pour les petits humains. Si l’on en croit Lewis Carroll ces bienfaits vont même au-delà de l’adaptation au monde tel qu’il est. En réponse au lapin blanc qui l’invite à suivre des pistes différentes voire divergentes, Alice au pays des merveilles s’interroge : « si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? »
C’est le lapin qui a pris ses quartiers dans le N° de printemps de la revue Billebaude
« Cet animal sans prétention semble doté d’un pouvoir qu’on ne maîtrise pas : il ne pose pas les règles, il ne les suit pas, il les transforme », peut-on apprendre au frontispice. Nuisible ou gibier, bâtisseur d’habitats en galeries ou destructeur des cultures, « il s’échappe des garennes, des grillages autour des parcs et le long des voies ferrées ». L’anthropologue Lucienne Strivay et la sociologue Catherine Mougenot montrent comment le « pire ami de l’homme » l’a accompagné dans toutes ses conquêtes territoriales, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Amérique du Sud, non sans provoquer parfois des catastrophes du fait de sa prolifération dans des espaces peu fertiles, rallumant la guerre entre chasseurs, éleveurs et agriculteurs. Animal réputé « farceur » en ethnologie, il est habité par ses passions propres : la gourmandise, la luxure, et il ne respecte rien. Maladroit mais plein de ressources et d’énergie, il nous « oblige à remettre en question une idée de la nature, extérieure et indifférente à notre histoire humaine »
Par Jacques Munier

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