Pékin et Téhéran viennent de signer un pacte de coopération stratégique, malgré les sanctions américaines. Pour de nombreux observateurs, cet accord est considéré comme un défi lancé aux États-Unis.
Frédéric Lemaître évoque même dans Le Monde « la folle semaine de la diplomatie chinoise contre les Occidentaux ». Sanctions tous azimuts, publication d’un rapport sur « les violations des droits de l’homme aux États-Unis en 2020 », intimidations de l’aviation dans la zone d’identification de la défense aérienne taïwanaise quelques heures après la signature d’un accord entre les États-Unis et Taïwan sur la coopération en matière de sécurité maritime... « non seulement la Chine n’entend plus être sur la défensive mais compte bien se montrer plus offensive ». Sauf que le procès Georges Floyd a lieu en ce moment à Minneapolis et qu’on attend toujours la mise en cause des responsables de l’internement arbitraire et massif des Ouïghours. C’est donc samedi que, dans le cadre d’une tournée au Moyen-Orient (Arabie saoudite, Turquie, Iran, Émirats arabes unis, Bahreïn et Oman), le ministre des affaires étrangères Wang Yi a conclu avec l’Iran un « plan de coopération globale » d’une durée de vingt-cinq ans. Les négociations avaient démarré en 2016 et si le détail n’en a pas été révélé, on sait qu’il porte aussi bien sur le pétrole et les matières premières que sur le transport et l’agriculture. Mais selon Armin Arefi dans Le point, sa portée apparaît bien plus limitée qu'annoncé initialement et il évoque « un accord en trompe-l’œil ». En principe, la Chine respecte les sanctions américaines car elle commerce beaucoup plus avec les États-Unis qu'avec l'Iran. Pékin a ainsi diminué ses achats de brut iranien, « même s'il a continué à acquérir plusieurs centaines de milliers de barils par mois de façon illégale », l'Arabie saoudite demeurant son premier fournisseur de pétrole. Et pour Ali Vaez, du centre International Crisis Group « le succès de l'accord entre Téhéran et Pékin dépend soit d'une désescalade entre l'Iran et les États-Unis, qui pourrait aboutir à une levée des sanctions américaines, soit d'une montée des tensions entre Pékin et Washington, qui réduirait l'importance des sanctions aux yeux de la Chine. » L'avenir des relations entre l'Iran et l'empire du Milieu semble donc lié à celui de l'accord sur le nucléaire iranien dont Pékin est également signataire. Reste que l’annonce de ce « pacte de coopération stratégique » a - je cite - « inquiété » le président américain, malgré son intention de rejoindre à nouveau l'accord sur le nucléaire iranien « à condition que l'Iran revienne au respect de ses engagements », les deux pays butant sur celui qui fera le premier pas.
Guerre froide, le retour ?
Pour David Sanger, dans le New York Times, relayé par Courrier international, face à la Chine et la Russie, Biden n’est pas au bout de ses peines. Soixante jours après avoir pris ses fonctions, il « a eu droit à un avant-goût de ce à quoi risquent de ressembler les quatre années à venir : une nouvelle ère de concurrence acharnée entre superpuissances, marquée par ce qui sera peut-être les pires relations que Washington ait jamais entretenues avec la Russie depuis la chute du mur du Berlin, et avec la Chine depuis qu’elle a établi des relations diplomatiques avec les États-Unis ». Il ne s’agit pas d’un retour à la guerre froide avec la menace nucléaire, « la compétition actuelle est plus affaire de technologie, de cyberconflits et d’influence ». La Russie n’est plus que l’ombre de l’Union soviétique et « sa plus grande force aujourd’hui, c’est sa capacité à semer le désordre et à instiller la peur » en empoisonnant ses opposants, ou à user de ses cybercompétences, son économie étant « à peu près équivalente à celle de l’Italie ». Mais avec la Chine, dont « les économistes se demandent s’ils afficheront un jour le plus gros PIB de la planète – peut-être vers la fin de cette décennie –, et s’ils parviendront à se doter de l’armée la plus puissante du monde et prendre la tête de la ruée sur les technologies de pointe d’ici à 2049, centenaire de la prise du pouvoir par Mao » *, c’est une autre paire de manches. Et de fait, comme le souligne François Bougon dans Mediapart à propos de la rencontre d’Anchorage entre Américains et Chinois, après les attaques bille en tête face à la presse, on a discuté plus calmement, à huis clos. « Une diplomatie spectacle à l’heure de l’information en continu et des réseaux sociaux », qui vise d’abord les opinions publiques respectives. Comme le dit Sylvie Bermann, ambassadrice en Chine puis en Russie, aujourd’hui « on ne parle pas à l’autre, on parle à soi-même ».
Par Jacques Munier
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