Les découvertes récentes sur l’origine de l’espèce humaine révèlent le rôle central joué par la femme dans l’évolution.
C’est Pascal Picq qui fait le point dans un livre paru chez Flammarion sous le titre Sapiens face à Sapiens. Il en parle dans les pages idées de L’Obs, notamment à propos de la transformation des corps, due à « un ensemble de facteurs biologiques, physiologiques, cognitifs, sociaux et bien sûr alimentaires ». Une évolution qui se déploie sur tous ces fronts avec Homo erectus, il y a environ 1,8 millions d’années. Son allure athlétique, le volume de son cerveau – organe très énergivore – qui augmente, accroissent encore ses capacités d’adaptation. C’est en particulier « la maîtrise du feu et la cuisson des aliments qui, en soulageant la mastication et la digestion, ont permis de bien meilleurs apports énergétiques ». Or, la cuisson « joue aussi un rôle important dans la cognition et les relations sociales ». On ne peut pas pour autant attribuer aux seules femmes cet aspect de l’évolution car rien ne prouve que la division des tâches ait été liée au genre – les hommes à la chasse, les femmes aux fourneaux. Le paléoanthropologue estime qu’il est « plus plausible que les travaux aient été répartis par classe d’âge ». Et les outils, par exemple, n’étaient pas l’apanage des hommes, ne serait-ce que parce qu’ils servaient surtout à la préparation des végétaux. S’il est vrai, comme l’écrit le psychiatre et éthologue Rolf Schäppi, que « la femme est le propre de l’homme », au sens de son rôle crucial et longtemps ignoré dans l’évolution, c’est aussi en raison des transformations de son corps.
C’est de la métamorphose féminine qu’est née l’humanité. (Pascal Picq)
Publicité
Vus de dos, rien ne distingue un jeune mâle chimpanzé d’une femelle, « tandis qu’à l’adolescence le corps des jeunes filles prend une forme caractéristique de violoncelle, avec des hanches et une poitrine développées ». Autre singularité : « les femmes sont sexuellement actives en permanence ; elles ne ressentent pas l’œstrus, la période de fertilité », une « innovation biologique » qui n’est pas restée sans conséquences sociales, « les groupes se structurant toujours autour de la sexualité ».
Testostérone
Alors, d’où est venu le règne de la « domination masculine » ? Le mensuel Books publie un dossier sur « la masculinité toxique » : la testostérone. On a longtemps cru qu’elle était la base chimique de la différence des genres, abusivement considérée comme une hormone sexuelle masculine, induisant l’agressivité et stimulant la libido. Comme le soulignent Rebecca M. Jordan-Young et Katrina Karkazis, « c’est aussi l’hormone stéroïdienne biologiquement active la plus abondante dans l’organisme féminin – et elle joue un rôle essentiel dans le développement et le bien-être de la femme ». Elle facilite l’ovulation, et n’est pas non plus seulement une hormone sexuelle. « Chez l’homme comme chez la femme, ses récepteurs sont présents dans à peu près tous les tissus ; elle favorise la masse maigre et la santé osseuse, stimule les fonctions cognitives et intervient sur l’humeur. » Et s’il est vrai que l’activité sexuelle ou le désir stimulent la production de testostérone, « l’exercice physique, les compliments de son supérieur et bien d’autres choses » aussi…
Nature ou culture ? Un peu des deux, selon Olivier Postel-Vinay, qui évoque l’apport des travaux sur l’évolution de l’espèce humaine et notamment ceux du primatologue Richard Wrangham. Le professeur d’anthropologie biologique à Harvard souligne « un fait méconnu mais troublant : au cours des deux cent mille dernières années, on observe une réduction progressive des caractères anatomiques crâniaux associés à l’agression. Les spécialistes parlent aussi de féminisation craniofaciale. » C’est donc sous l’angle des rétroactions entre nature et culture, entre la biologie et l’éducation, conclut le directeur de Books, que l’on peut utilement réfléchir « aux moyens de freiner la propension à l’agressivité d’une bonne part des garçons et des hommes et de contrecarrer les effets pervers de la domination masculine ».
Fétichisme
Pour Laura Mulvey, ça consiste notamment à déconstruire la machine à fantasmes du cinéma « qui associe le spectacle du corps féminin à l’écran à la présence implicite d’un spectateur masculin ». Giovanna Zapperi a lu son livre Fétichisme et Curiosité (Brook) pour le site La vie des idées. La déconstruction consiste en l’occurrence à introduire le regard et le désir féminins – la curiosité – dans l’entreprise fétichiste de la représentation de la femme. Elle évoque le chapitre consacré à la « boîte de Pandore » dont le mythe croise « l’image d’un féminin fabriqué de toutes pièces, avec le récit de la curiosité féminine représentée comme transgressive ». Puisque celle-ci renvoie aussi à l’énigme de la féminité, « seul un désir de savoir féministe est en mesure de déchiffrer et de rendre opératoire la curiosité de Pandore ». À l’heure où les phénomènes d’emprise et de domination masculine sont dénoncés dans les milieux du cinéma, ce déplacement du regard apparaît salutaire.
Par Jacques Munier
L'équipe
- Production