

Alors que la discussion du projet de loi sur la réforme de la justice bat son plein à l’Assemblée, la Cour de cassation a rendu un arrêt qui protège le droit du justiciable à s’en saisir.
En l’occurrence, un salarié licencié pour avoir menacé son employeur d’aller en justice afin d’obtenir le paiement de jours d’astreintes et de RTT qui avait obtenu l’annulation de son licenciement en appel. Pour se pourvoir en cassation, l’employeur arguait « que le droit d’agir en justice n’est protégé que lorsque le juge a été effectivement saisi ». Comme le précise Clara Gandin dans sa chronique juridique de L’Humanité, même si aucune procédure n’a été entamée, la référence par l’employeur dans sa lettre de licenciement « à une procédure contentieuse envisagée par le salarié constitue une atteinte au droit fondamental d’ester en justice et encourt la nullité ». Laquelle nullité apparaît comme « la sanction des atteintes les plus graves aux droits des salariés : discrimination, harcèlement, atteinte à une liberté fondamentale ».
Les ambiguïtés du consentement
Spécialiste du droit des contrats, Muriel Fabre-Magnan rappelle dans un livrepublié aux PUF sous le titre L’institution de la liberté l'importance du cadre juridique pour équilibrer les relations sociales. Elle montre comment, sous l’influence américaine, le recours grandissant au contrat permet de contourner le cadre protecteur de la loi. Et elle cite Lacordaire :
Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c'est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit.
La juriste évoque dans_Marianne_ les ambiguïtés de la notion de consentement, qui justifie et légitime de tels contrats, souvent dérogatoires au droit commun. « Le consentement est aujourd'hui considéré comme le signe le plus certain de la liberté, alors qu'il est en réalité souvent invoqué pour que les personnes acceptent de renoncer à des droits et des libertés et consentent à se mettre à la disposition d'autrui. Le droit à l'autonomie personnelle sert ainsi à ce que l'on puisse valablement accepter des atteintes à son propre corps. » Confer la Cour européenne des droits de l'homme, qui défend « un principe d'autonomie personnelle selon lequel chacun peut mener sa vie comme il l'entend, y compris en se mettant physiquement ou moralement en danger ». Dans le cas de salariés qui acceptent une baisse de rémunération ou une augmentation du temps de travail sans contrepartie, ou encore de femmes qui signent pour une GPA, et à fortiori de ceux qui vendent un de leurs organes, « le consentement doit, bien sûr, être une condition nécessaire, mais il n'est pas une condition suffisante ». Muriel Fabre-Magnan souligne que « lorsqu'une personne est en situation de faiblesse ou de dépendance, son consentement n'est pas forcément le signe de sa liberté.
Prétendre que les prostituées sont libres de faire un tout autre métier ou que nous serions tous libres de refuser les conditions d'accès aux services des géants d'Internet, et en déduire que tous ces consentements devraient être validés, conduit au retournement de la liberté.
C’est particulièrement évident en droit du travail : « le modèle fordiste avait institué un échange dans lequel les salariés acceptaient d'être subordonnés pour gagner une certaine sécurité ; on prétend aujourd'hui les libérer de cette subordination pour leur retirer purement et simplement toute sécurité et toute protection. On le voit avec ce qu'on appelle l'ubérisation de la société. » S’en remettre sans autre forme de procès à la logique du marché revient « à permettre dans tous les domaines à ceux qui ont le plus d'argent d'acheter le plus. Les plus pauvres ne peuvent, quant à eux, que vendre ce qu'ils ont, et quand ils n'ont plus rien, se vendre eux-mêmes ». Si l’on « réduit la liberté à la simple non-ingérence du droit, c'est en réalité chacun que l'on renvoie à son propre sort et ce sont les faibles qui en paient le prix le plus lourd ». C’est cette question du prix qui anime la réflexion de Margaret Jane Radin : Peut-on faire de tout une marchandise ? Sur le site La vie des idées elle évoque son livre inédit en français, une référence dans le domaine des commodification studies (études de la marchandisation) – un champ qui se préoccupe non pas du rôle du marché en général, mais de marchés particuliers soulevant des problèmes éthiques, moraux ou sociaux, tels que la vente d’organes ou de services reproductifs. « Ces questions nous inquiétaient dans une perspective féministe, car il nous semblait que bon nombre des choses transformées en marchandises appartenaient à des femmes. » Et « il y a des choses chez une personne dont la perte affecte la personnalité ».
Conflits d'intérêts dans le monde scientifique
Stéphane Horel enquête depuis plusieurs années sur l'action des lobbies et elle est à l'origine des révélations des implants files, les lacunes des autorités sanitaires sur les effets indésirables des implants médicaux. Dans son dernier livre, Lobbytomie, publié à La Découverte, elle montre comment les conflits d'intérêts ont essaimé le monde scientifique, au profit des intérêts privés des firmes. Dans le Figarovox, elle estime que le name and shame ne suffit plus et qu’il faut insister sur le conflit d’intérêt, soit une qualification juridique.
Par Jacques Munier
L'équipe
- Production