La guerre, un fait social total

Bagdad, 13 avril 2003
Bagdad, 13 avril 2003 ©Getty - M. Tama
Bagdad, 13 avril 2003 ©Getty - M. Tama
Bagdad, 13 avril 2003 ©Getty - M. Tama
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C’est la journée internationale de la paix. Depuis sa création en 1981, elle doit se manifester par un cessez-le-feu dans les zones de combat. Cette année elle est placée sous le thème du « droit à la paix ».

Car c’est le 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme. S’il est vrai que l’article 3 dispose que « tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne », il n’est pas fait mention de la paix, même si elle est implicitement contenue dans la formule. Comme le rappelle Daniel Durand dans les pages Débats de L’Humanité, un droit à la paix est bien à l’étude depuis les années 1990 mais il se heurte à l’opposition des États. Le directeur de l’Institut de documentation et de recherche sur la paix (IDRP) note cependant que le travail des juristes – notamment espagnols – a permis d’aboutir en 2006 à la convention de Luarca (Asturies), qui établit que le droit humain à la paix implique plusieurs autres droits : notamment celui à l’éducation pour la paix, à la sécurité ou à la désobéissance et à l’objection de conscience. Avec le droit au désarmement, l’ensemble s’inscrit dans la promotion d’une « culture de paix » où les opinions publiques ont un rôle éminent à jouer face aux États. 

Les écrivains et la guerre

Dans un livre qui vient de paraître au Seuil sous le titre Les écrivains et la politique en France. De l’Affaire Dreyfus à la Guerre d’Algérie, Gisèle Sapiro évoque la montée en puissance depuis la Grande Guerre d’un genre littéraire, entre témoignage et engagement, rompant avec la tradition épique de l’héroïsme guerrier et du sentiment patriotique. Le modèle de ce genre nouveau, Le Feu. Journal d’une escouade d’Henri Barbusse paraît – censuré – en feuilleton avant d’obtenir le Goncourt 1916 et de connaître « l’un des plus grands succès de librairie de l’époque ». Marqués par la prééminence du vécu, la démystification de la guerre et de son absurdité, ces romans désabusés diffusent « une vision du monde pacifiste » et « leur recherche esthétique se caractérise par la quête d’un cadre de référence, d’un système éthique, afin de parvenir à penser l’événement ». 

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Penser la guerre

Penser la guerre, c’est aussi l’objet de l’ouvrage collectif _Une histoire de la guerre du XIX_e siècle à nos jours (Seuil) Comme le souligne Gaïdz Minassian dans Le Monde, l'une des forces du livre est de mêler histoire militaire et culturelle, « ce qui permet une analyse tous azimuts, et au niveau mondial, de la guerre comme fait social total, qui se révèle particulièrement adaptée à une compréhension renouvelée des mutations contemporaines » et notamment le passage d'une conflictualité internationale, entre des États, à la conflictualité intrasociale des guerres civiles, caractéristique de notre époque. « La traditionnelle histoire des stratèges, hommes d’État et diplomates s’est enrichie d’une histoire sociale et culturelle des soldats ordinaires, puis des civils (des femmes notamment) » souligne Bruno Cabanes qui a dirigé l’ouvrage. Dans sa contribution, Jean-Vincent Holeindre insiste sur la dimension politique du simple fait de « nommer la guerre ». « Lorsque les présidents Bush et Hollande usent du mot guerre pour qualifier les attentats terroristes qui touchent leurs pays en 2001 et en 2015, c’est d’abord pour souligner la gravité et le caractère exceptionnel de l’agression » et « dessiner une réponse politique à la hauteur du choc provoqué ». Mais, tout comme la France en Algérie, pour la Russie en Tchétchénie, nommer la guerre, c’était reconnaître « la revendication indépendantiste ». Aujourd’hui on parle de guerres « asymétriques » ou non conventionnelles, ce qui signifie que « le phénomène guerrier déborde l’institution étatique ». Clausewitz avait vu juste lorsqu’il désignait la guerre comme un « caméléon ». Car elle n’est pas seulement de nature militaire et politique mais « un fait social dépendant de la culture, des mœurs, de l’esprit du temps, du progrès technique, de la situation des alliances, bref, de l’état des forces sociales ». 

Sorties de guerre

D’où l’importance de la « sortie de guerre » pour créer les conditions d’une paix durable. Brian Jordan montre que le vrai vainqueur de la guerre de Sécession aux Etats-Unis ne fut pas le Nord mais le Sud, car sa défaite militaire l’a renforcé dans son idéologie esclavagiste et suprémaciste, ce qui aurait contribué à ancrer la ségrégation et les inégalités raciales dans le pays. La victoire est-elle forcément synonyme de fin de la guerre ? La question est posée dans la dernière livraison de la revue Politique étrangère. Georges-Henri Soutou revient sur la négociation du Traité de Versailles, à la fin de la Première Guerre mondiale. Conformément à la pratique, on a commencé par fixer entre Alliés les grandes orientations pour inviter ensuite les puissances vaincues à négocier les détails. Comme les discussions préliminaires ont duré, il n’y eut pas de négociations avec les Allemands, qui se sont vu imposer un texte perçu comme un Diktat, « ce qui d’emblée le délégitima aux yeux de l’opinion allemande ». On connaît la suite… Si vis pacem para bellum, disaient les Anciens. Mieux vaudrait aujourd’hui renverser la formule : si tu veux la guerre, prépare la paix.

Par Jacques Munier

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