Le parquet national financier a requis cinq ans de prison, dont deux ferme, à l’encontre de François Fillon, et trois ans avec sursis contre son épouse dans l’affaire des soupçons d’emplois fictifs de Mme Fillon.
Aurore Gorius a suivi le procès pour le site d’information Les Jours. Elle cite les propos, à la veille du réquisitoire, de l’avocat de François Fillon : « Je ne m’attends pas à ce que le parquet soit touché par la grâce. Ils ont depuis le début démontré un entêtement à poursuivre ce dossier parfois au-delà du raisonnable. » Et de dénoncer une « hystérisation complète » et, par avance, « des réquisitions de mauvaise foi, non balancées, sans doute excessives. »
« Les puissants face aux juges », c’est le sujet de l’hebdomadaire Le 1 cette semaine. Eva Joly, juge d’instruction au pôle financier du parquet de Paris de 1990 à 2002* et aujourd’hui avocate, revient sur l’affaire Fillon et sur l’empressement supposé de la justice sur les soupçons d’emplois fictifs de Penelope Fillon, trouvant « extraordinaires les remarques critiquant la rapidité de cette procédure, comme s’il y avait un droit acquis à ce que la justice soit lente. » Et elle souligne que si l’enquête préliminaire a été ouverte, « c’est parce qu’il y a eu cet article dans Le Canard enchaîné. » On savait « que les députés abusaient des diverses enveloppes à leur disposition mais aucun juge ne pouvait se saisir, seuls les parquets en ont la possibilité et aucun procureur qui rêve de rejoindre un jour la Cour de cassation n’aurait ouvert d’information avant la publication de l’article. » Eva Joly rappelle d’ailleurs qu’en matière de délinquance financière ou de corruption, « les enquêtes sont presque toujours lancées par des journalistes d’investigation ». Mais si la justice peut s’en prendre aux « petits pouvoirs » des politiques, elle est souvent impuissante face aux grandes entreprises.
Dans les affaires financières, il y a un très haut niveau de compétence requis. Quand vous traitez des dossiers de régulation bancaire, il est décisif que ces sujets complexes vous soient familiers, sinon vous êtes le jouet des avocats des banques qui sont souvent dix ou quinze, accompagnés de collaborateurs, chacun ayant travaillé un aspect du dossier.
Et elle déplore la « pauvreté » de l’institution judiciaire. « On consacre en France 70 euros par an et par habitant à la justice et cela comprend aussi l’aide juridictionnelle, la prison et la protection des mineurs, c’est deux fois moins que l’Allemagne. »
Profils sociologiques des juges
« L’effectif des magistrats n’a jamais progressé dans notre pays en proportion de l’augmentation de la population et du nombre d’affaires » souligne Denis Salas, magistrat et président de l’Association française pour l’histoire de la justice**. Il évoque une étude récente sur le profil sociologique des juges : issu en majorité des classes sociales favorisées, « ce corps présente ainsi les mêmes caractéristiques d’homogénéité socioprofessionnelle que la haute fonction publique ». Aujourd’hui, cependant, « l’existence de voies d’accès ouvertes à d’autres professions est un facteur de démocratisation et les classes préparatoires au concours dites égalité des chances sont un levier de diversité ».
L’explosion des affaires politico-financières, le soutien de l’opinion et des médias aux « petits juges », le syndicalisme judiciaire ou encore la coopération européenne favorisent leur émancipation.
Criminels en puissance
Une équipe de chercheurs, dirigée par Christiane Besnier***, ethnologue à l’université Paris-Descartes et Sharon Weill, spécialiste de droit international et des conflits armés, a assisté aux procès liés au terrorisme djihadiste qui se sont tenus entre 2017 et 2019. Alors que les grands procès des attentats de 2015 et 2016 vont débuter avec celui de Charlie et de l’Hyper Cacher en mai, ils relèvent une « tension entre le contexte sécuritaire et l’audience où l’on revient à une justice plus ordinaire », voire « plus apaisée » malgré le durcissement de la législation. Les deux universitaires s’en expliquent dans Le Monde.
La temporalité des assises permet à la personne poursuivie de s’exprimer. Les avocats ne sont pas dans une posture politique, mais débattent de la qualification des faits et creusent le parcours de l’accusé. La présence des familles humanise ce moment. (Christiane Besnier)
À propos des « revenants » de Syrie, Sharon Weill rappelle que « la pression des attentats avait justifié la criminalisation des départs en Syrie, mais une fois devant la cour d’assises, cela n’avait plus beaucoup de sens. » Les prévenus n’ont pas préparé d’attentat « comme dans le dossier Cannes-Torcy où les peines sont allées jusqu’à 28 ans » et la loi justice préventive, liée à celle créant l’infraction d’association de malfaiteurs terroristes, n’a pas poussé à alourdir les peines, « plutôt restées dans une échelle correctionnelle », soit autour de dix ans dans la plupart des cas.
« On juge des intentions. Mais, c’est aussi la force de l’audience aux assises, elle permet de cerner la personnalité de l’accusé et de sentir son évolution. » Afin d’évaluer sa dangerosité, conclut Christiane Besnier.
Par Jacques Munier
* Avec notamment l’affaire Elf, celle du Crédit lyonnais ou le scandale des frégates de Taïwan.
** Denis Salas est également rédacteur en chef de la revue Les cahiers de la justice.
*** auteure de La Vérité côté cour (La Découverte, 2018)
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