Le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) a été saisi par le gouvernement de l’avant-projet de loi « confortant les principes républicains », destiné à lutter contre les séparatismes, et qui doit être présenté le 9 décembre en conseil des ministres.
Cette haute autorité chargée du contrôle et de l’évaluation du droit applicable aux collectivités, composée de représentants des élus et de représentants de l’État, est consultée pour tout texte législatif ou réglementaire concernant les collectivités territoriales. Et c’est peu dire que l’avis rendu « est d’une rare sévérité », résume dans Le Monde Patrick Roger. Non que les représentants des élus aient « quelque réserve vis-à-vis de l’objectif poursuivi de prévention et de lutte contre les radicalisations et de tout ce qui peut remettre en cause la laïcité et la neutralité du service public », souligne le président du CNEN, Alain Lambert. Mais les moyens envisagés les « ont un peu agacés, pour ne pas dire indignés ». En cause, l’article 2 qui permet aux préfets d’introduire une procédure de référé-suspension prenant effet immédiatement en cas d’atteinte au principe de neutralité des services publics. Ou de « carence républicaine », une expression qui cristallise l’exaspération. Les maires dénoncent « un signe de défiance insupportable ». Et y voient l’indice d’une volonté de reprise en main de l’exécutif sur les élus locaux. « C’est une façon de revenir sur les lois de décentralisation, une manière rampante de redonner aux préfets le contrôle a priori qu’ils ont perdu », estime Alain Lambert.
Avant même que soit rendu l’avis du Conseil d’État, celui du CNEN augure de fortes résistances, notamment de la part des élus locaux, à certaines dispositions de la loi sur les séparatismes. (Patrick Roger)
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Mêmes réactions dans le monde associatif au sujet du « contrat d'engagement républicain » prévu dans le projet de loi. Dans L’Express, Agnès Laurent cite les propos du chef de l’État aux Mureaux le 2 octobre sur ces « associations proposant des activités sportives, culturelles, artistiques, linguistiques ou autres [qui] déploient en réalité des stratégies assumées d'endoctrinement », avant d'avertir que le versement des subventions serait désormais conditionné au respect des principes républicains. La formulation est reprise quasi intégralement dans l'un des articles. Dix thèmes figurent dans ce « contrat d'engagement républicain » : dignité de la personne humaine, égalité entre les hommes et les femmes et non-discrimination, fraternité et rejet de la haine, respect des symboles de la République, liberté de conscience et liberté religieuse, protection de l'intégrité physique et morale, respect de la légalité et de l'ordre public, respect de l'environnement, emploi de la langue française et liberté d'association des membres. En cas de non-respect, les sanctions iront du licenciement d'un salarié ayant un comportement séparatiste à la dissolution de l'association elle-même ou à la suspension de ses subventions.
Contrat républicain
Si la plupart des maires approuvent l'initiative, certains d’entre eux ayant déjà diffusé une charte locale, du côté des associations les réserves sont nombreuses. Certains responsables s’étonnent qu’il faille signer un contrat pour respecter la loi, ou s’il s’agit de renforcer le contrôle sur la laïcité, que vient faire le respect de l'environnement dans le texte ?
Il ne faut pas restreindre le principe de la liberté associative au motif qu'une minorité commet des dérives, c'est un espace de respiration démocratique et de mobilisation citoyenne. (Jean-Paul Delahaye, référent laïcité à la Ligue de l'enseignement)
D’autant que le contrat va plus loin : il engage non seulement à respecter les principes républicains, mais à les défendre et les promouvoir. Et incite les dirigeants d'associations, les élus ou les familles à déclarer les comportements discutables dont ils sont témoins.
Manu militari
Sans vouloir comparer les islamistes radicaux aux catholiques de l’autre siècle, George Valance revient dans Marianne sur la manière, parfois brutale, dont la IIIe République a imposé la législation laïque à une population majoritairement catholique. En s’en prenant d’abord à l’un des piliers du pouvoir de l’Église : l’enseignement, avec l’instauration de l’école laïque, gratuite et obligatoire. Puis en fermant les établissement des congrégations enseignantes, prononçant notamment la dissolution de la Compagnie de Jésus.
Au petit matin du 30 juin 1880, la police force le portail de la maison mère, rue de Sèvres à Paris, et fait sortir les religieux de leurs cellules.
Puis vient le tour des associations religieuses, contraintes par la loi du 1er juillet 1901 de demander une autorisation accordée ou non par un vote au Parlement, majoritairement anticlérical. De quoi préparer le terrain à la loi dite de « séparation » du 9 décembre 1905.
Par Jacques Munier
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