La longue marche du droit des femmes

Des suffragettes belges renversent les urnes, mai 1908
Des suffragettes belges renversent les urnes, mai 1908 ©Getty
Des suffragettes belges renversent les urnes, mai 1908 ©Getty
Des suffragettes belges renversent les urnes, mai 1908 ©Getty
Publicité

C’est la journée internationale des droits des femmes mais il y a encore du chemin à faire pour parvenir à l’égalité et à la parité dans de nombreux métiers.

Dans les médias, par exemple, la proportion des femmes s’est considérablement accrue, en particulier dans le service public et notamment dans les fonctions d’expertise où l’on est passé de 18% de femmes intervenant à l’antenne en 2013, à 42% aujourd’hui. Dans L’Humanité, Yvette Roudy, la ministre des Droits des femmes qui a fait voter en 1983 la loi sur l’égalité professionnelle longtemps restée sans effets estime que si les femmes avaient choisi cet objectif en priorité, « elles auraient gagné depuis longtemps ». Par exemple en cessant le travail le 8 mars et en paralysant le pays. L’ancienne ministre évoque la différence de salaires entre hommes et femmes et le travail à temps partiel, où les femmes « se sont fait coincer » et « marginaliser ». 

Paradoxes de la parité

Aujourd’hui la parité par quotas peut avoir des effets pervers, comme le montre Cecilia Garcia-Peñalosa dans Le Monde. L’économiste cite une étude sur les concours de recrutement dans le système judiciaire espagnol, où l’augmentation de la proportion de femmes dans les jurys n’a pas eu l’effet escompté : un jury plus féminisé réduit le taux de réussite des candidates, car les femmes qui y siègent sont plus exigeantes envers elles. Pour réduire les inégalités dues à la maternité dans une carrière, les universités américaines ont accordé une année supplémentaire par enfant, une mesure que par souci d’égalité de genre elles ont étendue aux hommes. Résultat : le taux de titularisation des femmes a chuté de 22% alors que celui des hommes augmentait. Car ceux-ci mettent à profit cette période pour travailler et publier davantage. Et l’introduction de quotas en politique peut avoir pour effet un renforcement des stéréotypes de genre : la mauvaise gestion d’une municipalité par une femme ne sera pas imputée à une personnalité défaillante ou à une affiliation politique, comme pour les hommes, mais à un défaut relevant de sa condition de femme. D’où la probabilité restreinte qu’une femme succède à une autre femme comme édile. Dans la revue Le cercle psy, Justine Canonne évoque une étude parue dans la revue Science qui s’interroge sur la pérennité des différences de genre dans des situations professionnelles où l’égalité et la parité devraient les estomper. En fait, c’est l’inverse qui semble se produire : « dans les pays où la parité progresse le plus, les différences de comportement entre hommes et femmes tendraient à s’étoffer ». Sur la prise de risque, la patience, l’altruisme, la confiance, la réciprocité négative et positive, les différences continuent de s’affirmer en fonction du genre. L’une des explications, c’est qu’une société égalitaire « donne à chacun une plus grande latitude pour exprimer ses préférences ». Là où les femmes sont minoritaires, elles subiraient une pression de l’environnement masculin pour adopter des comportements plus conformes au modèle dominant. Cela dit, la parité n’est pas une forme de passe-droit dans un système républicain réputé « universaliste » mais « une façon de construire une démocratie mixte », souligne Sylviane Agacinski dans Le Figaro

Publicité

Le suffrage dit universel fut d’abord exclusivement masculin. Lorsque Tocqueville cite les exclus du suffrage dans la démocratie américaine (esclaves, domestiques, indigents), il ne songe même pas à mentionner les femmes. 

La philosophe relève que notre époque vit un double mouvement paradoxal. « D’un côté, on n’a jamais autant parlé des femmes et traqué les sexismes – avec la parité, la lutte contre les violences sexuelles et conjugales, les efforts pour réduire les inégalités économiques de genre, la féminisation des noms de métier ou de fonctions. » Et de l’autre « avec la Queer Theory, issue des travaux de Judith Butler, le gender a pris un tout autre sens : c’est une identité personnelle construite sur les pratiques sexuelles de chacun, et supposée indépendante de la différence sexuelle ». Laquelle résiste malgré tout, car il n’y aurait aucun sens à se dire bisexuel s’il n’y avait pas au moins deux sexes. « De même, si les mots hétérosexuel, homosexuel ou transsexuel ont un sens, c’est que l’autre sexe est toujours déjà là. » 

Galanterie ou civilité ?

Dans la revue Études, Camille de Villeneuve répond à l’invitation de Michèle Perrot et Laure Murat à « déconstruire la galanterie à la française », une culture « qui a fait le plaisir social des relations entre les femmes et les hommes et fut le fruit d’une évolution positive de la civilisation », mais qui assigne une place réservée aux femmes et euphémise la violence des relations de genre. La philosophe qui a mené l’enquête sur les doctrines médiévales du « pur amour » et de la courtoisie chevaleresque suggère en remplacement pour notre époque l’attitude de la civilité, moins connotée sexuellement. Non sans noter au passage que la galanterie a pavé les marches qui mènent à l’empire du désir. Là où règnent « des normes qui ne sont pas celles de la vie civique ». Des gestes doux et respectueux, des seuils à franchir, des attentions qui invitent à « la réciprocité du désir ».

Par Jacques Munier