

Le ministre de l’intérieur s’est dit « scandalisé » par les opérations antimigrants menées par le groupuscule d’extrême droite Génération identitaire, dont il envisage la dissolution. Quelle est la place de ce mouvement dans la nébuleuse de la droite extrême ?
Génération identitaire provient de la dissolution d’Unité radicale, en 2002, « qui permet à ses jeunes cadres de rénover leur credo : exit les références fascistes, l’antisionisme radical, l’activisme violent, les looks typés et la propagande underground. » précise Nicolas Lebourg dans l’hebdomadaire Le 1, consacré cette semaine à l’extrême droite. « Les Identitaires rompent avec les codes néofascistes pour assumer une pensée ethniciste en épousant un style mainstream », selon le credo « faire peur à l’adversaire, pas à nos grands-mères ». Ils renoncent à se présenter aux élections et appellent à voter FN depuis 2014, préférant mener des actions symboliques à impact médiatique. L’une de ses figures tutélaires, Philippe Vardon, un temps tenu à l’écart par crainte du noyautage, a intégré le Bureau national du RN, en manque de cadres. L’historien rappelle d’ailleurs que l’éparpillement est une constante dans cette frange de la droite et il évoque d’autres courants : le Bastion social créé par le GUD en 2017, les nationaux-catholiques de Civitas, Dissidence française, « ostensiblement néo-fasciste », devenu le Mouvement national-démocrate (MND), pour défendre les « racines chrétiennes de la France », Égalité et Réconciliation d’Alain Soral, ou encore la vieille Action française...
L’extrême droite française se caractérise depuis toujours par son émiettement en groupuscules. C’est d’ailleurs pour contrer cette situation que le premier Front national (FN) avait été créé en 1934.
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Et c’est le même objectif qui fut celui de Jean-Marie Le Pen avec la fondation du FN en 1972, jusqu’à la scission du parti en 1999, quand la moitié de ses cadres et élus ont suivi Bruno Mégret. Aujourd’hui, la situation de Marine Le Pen est paradoxale, souligne Olivier Dard. « C’est la première fois, dans l’histoire, que cette famille politique qui n’a accumulé qu’une série d’échecs électoraux, affiche sur une vingtaine d’années des scores supérieurs à 20 %. » Là aussi, des dissidences récurrentes ont dégarni le parti en cadres et la présidente du Rassemblement national « n’a pas su ou pas pu développer un parti » à la mesure de son impact électoral, faisant dire à Robert Ménard que Marine Le Pen était « l’assurance-vie » de Macron pour la présidentielle. « Sa difficulté, ajoute l’historien, c’est qu’en dehors de s’opposer, elle n’a pas grand-chose à proposer. Elle ne peut s’appuyer sur de vrais bilans locaux. » D’où l’importance des prochaines élections départementales et régionales pour le parti.
Dérapages incontrôlés
Dans cette perspective, « la peur des "dérapages" hante le Rassemblement national », observe Camille Vigogne Le Coat dans L’Express. Elle évoque les départementales de 2015, où le Front national se targuait d'avoir investi 7648 candidats, « avant de déchanter face aux polémiques en bataille. Des dizaines de représentants frontistes s'étaient alors distingués par des commentaires racistes, antisémites ou homophobes sur les réseaux sociaux, provoquant l'embarras de leur cheffe, qui ambitionnait de dédiaboliser le parti paternel ». Cette fois c’est sa stratégie de « présidentialisation » qui pourrait en prendre un coup. Pour les élection locales, le RN ambitionne d’être partout présent, en investissant 8000 candidats, suppléants compris. « Une gageure, dans un mouvement en manque de cadres locaux et où beaucoup de fédérations ont vu leurs effectifs se réduire comme peau de chagrin depuis 2017 » souligne la journaliste. Jusqu’à présent, seuls un millier de candidats sur 4000 ont été investis, les suppléants étant à la charge des délégués départementaux. Sur les 3000 restants, nombreux seront les néophytes et le parti multiplie les mises en garde et les contrôles. Certains profils arrivent en commission d’investiture avec des photos dans la piscine, en peignoir, ou en boîte de nuit... "Votre parole ne doit pas exprimer votre opinion personnelle, mais la ligne du mouvement", a martelé le porte-parole du parti.
Fonction tribunicienne
Pour Pascal Perrineau dans Le Monde.fr, « l’institutionnalisation du RN a partiellement échoué ». Le politologue estime que c’est peut-être une chance pour lui, l’épreuve du pouvoir pouvant s’avérer redoutable, comme le montre l’exemple du Mouvement 5 étoiles en Italie ou du FPÖ en Autriche. « Une fois qu’on est au pouvoir, on n’est plus le symptôme, on fait partie du système. » Or « le RN est un symptôme », et rien ne lui convient mieux que le cumul des crises.
Par Jacques Munier
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