

Dans le cadre de la réforme du lycée et du baccalauréat, de nouveaux programmes de philosophie en Terminale sont à l’étude. Les notions de travail ou d’inconscient en seraient exclues.
Il s’agit pour l’heure d’un projet et contrairement à ce qu’on a pu déplorer sur les réseaux sociaux, les œuvres de Marx et Freud continueront à être étudiées, puisqu’ils figurent toujours sur la liste des auteurs au programme. L’Association des professeurs de philosophie de l’enseignement public (APPEP) s’inquiète surtout de l’évolution des horaires de philosophie dans la nouvelle architecture. « Cette discipline sera dispensée dans le tronc commun, à hauteur de quatre heures hebdomadaires, contre 8 heures aujourd’hui en L, 4 heures en ES et 3 heures en S, des séries amenées à disparaître. En contrepartie, les professeurs de philo interviendront dans un enseignement de spécialité intitulé « humanité, littérature et philosophie » dispensé quatre heures par semaine en première et six heures en terminale » précise Denis Peiron sur le site de La Croix. Et l’on pourra étudier Freud en abordant « le désir », ou Marx à partir de « l’histoire ». Dans Le Monde, Clotilde Leguil dénonce quant à elle la disparition de la notion de « sujet ». Professeure de philosophie à l’université Paris VIII- Saint-Denis et psychanalyste, elle relève également qu’en plus de « la conscience et l’inconscient », c’est la notion d’« autrui » qui est évacuée.
Au lieu même où il y a « le sujet », comme première mise en jambe permettant de pénétrer un monde, celui de la subjectivité faite de désirs, de contradictions, de rapports à l’autre, de questionnements, il y a « le corps et l’esprit », placé sous l’égide de la « métaphysique ». Au lieu même où la notion de « sujet » invitait les élèves à s’interroger sur eux-mêmes, advient une notion pour le moins abstraite pour des adolescents, celle de « métaphysique ».
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Pour Clotilde Leguil, la notion de « sujet » est en outre « une référence essentielle à tout ce qui échappe à la science et même à la religion. La sphère de la subjectivité fait exception, depuis Descartes, Kant, Hegel, pour penser la question de l’existence de celles et ceux qui ne sont pas seulement des machines, pas seulement des marchandises, pas seulement des consommateurs de nouvelles technologies. » La philosophe pointe également la disparition de la notion de « bonheur », remplacée par celle de « responsabilité ». Et d’ajouter : « S’il fallait introduire du nouveau, peut-être que les questions de « l’animal » et de « la différence masculin-féminin » auraient été de meilleur augure pour accrocher des élèves qui ont besoin d’éclairage sur les idées qui gouvernent le monde. »
La dépolitisation de la vie politique
Pour ce qui concerne l’apprentissage de la citoyenneté, dans la référence à toute une tradition, notamment grecque, relire Leo Strauss peut s’avérer éclairant. Adrien Louis s’y emploie dans un livre qui vient de paraître à CNRS Éditions sous le titre Leo Strauss philosophe politique. Dans sa préface, Pierre Manent rappelle tout ce que l’auteur de Droit naturel et histoire, ou encore de La Persécution et l’art d’écrire a apporté à notre connaissance du « projet politique moderne » en l’analysant à l’aune des principes classiques de la politique. Il en ressort – résume Pierre Manent – « que le phénomène politique lui-même apparaît de plus en plus estompé dans les régimes modernes quels qu’ils soient. Tous tendent à s’inscrire dans l’horizon d’une humanité délivrée des contraintes de la condition politique, c’est à dire de la division en corps politiques distincts, chacun étant organisé selon une loi propre pour viser un bien commun qui lui soit propre.
Si nos démocraties sont de moins en moins des communautés politiques, leur caractère « démocratique » perd de sa pertinence et de son contenu.
C’est ce qui fait dire à Leo Strauss que, sous cet angle, les différents régimes – conservateurs, libéraux ou même communiste – ont beaucoup plus en commun que ne le croient leurs partisans. À cet égard Adrien Louis analyse le dialogue critique entamé par Claude Lefort avec la pensée de Leo Strauss. Pour ce dernier, l’antique notion de politeia aurait été reléguée au XIXe siècle par l’essor de la philosophie de l’histoire et des sciences sociales. La première suppose qu’une rationalité est à l’œuvre dans l’histoire, et la sociologie dégage des faits sociaux des lois objectives qui surplombent les choix humains. À cela, Claude Lefort objecte que l’historicisme procède d’une expérience neuve de l’histoire, affirmant son caractère irréversible, notamment eu égard aux acquis en matière de droits humains. Quant à la sociologie, elle a promu « la découverte de l’autre qui, en tant que tel, est aussi une sorte de semblable », et révélé la profondeur des phénomènes sociaux qui ne se laissent pas recouvrir sous l’étiquette de régime » politique. « Parce que la question politique se confondait chez Strauss avec celle du régime » (tyrannie, oligarchie ou démocratie), cette « conception trop étroite de la politique détermina sa conception apolitique de la société moderne ».
Par Jacques Munier
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