La relance... des inégalités

Daumier, Le wagon de troisième classe
Daumier, Le wagon de troisième classe ©AFP
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À tout seigneur tout honneur, ouvrons cette journée spéciale sur les inégalités par un hommage à l’économiste Anthony Atkinson, le « défricheur des inégalités ».

D’autant qu’il nous a quittés ce 1er janvier dernier. L’économiste britannique, formé à Cambridge puis au MIT au milieu des années 1960, était le spécialiste universellement reconnu des questions d’inégalités et de pauvreté. Dans Les Echos, en pages idées & débats, François Bourguignon évoque sa contribution dans les domaines de la théorie, de l’analyse empirique et de la politique économique. « Sur le plan théorique, il a révolutionné la mesure de l’inégalité en explicitant les jugements de valeur qui la sous-tendent nécessairement. Il a en particulier introduit une nouvelle famille d’indices d’inégalité basée sur le concept clef d’aversion sociale à l’inégalité. » Ainsi, le calcul du niveau d'inégalité après redistribution permet d’appréhender le degré d'acceptation des inégalités : plus le système redistributif égalise les revenus, plus l’indice révèle une aversion pour l'inégalité, et inversement. Car le niveau des inégalités reflète le fonctionnement du système économique, que l'on peut donc aussi juger à cette aune. Et calculer le niveau d'inégalités des revenus permet de comprendre comment sont répartis les fruits de l'activité économique. Or, les politiques libérales appliquées au milieu des années 80, dans le sillage de Thatcher et de Reagan, ont provoqué un accroissement des écarts entre riches et pauvres, alors que l’Etat-providence avait permis de les réduire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Et c’est ainsi qu’on a relégué l’objectif politique de cohésion sociale.

Anthony Atkinson a ensuite étendu son approche à la mesure de la pauvreté

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Et « à la nature essentiellement multidimensionnelle du bien-être individuel, à la dynamique du revenu et en particulier la transmission intergénérationnelle de l’inégalité ». François Bourguignon insiste sur ses travaux concernant la théorie de la redistribution : « Sur le plan de la politique économique, Atkinson est celui qui a diffusé la microsimulation comme instrument d’analyse des politiques de redistribution, c’est-à-dire la simulation de réformes sur la diversité des situations réelles d’individus ou de familles plutôt que des cas type. » Une approche qu’il a utilisée « pour simuler l’instauration d’un revenu universel ou comparer les effets des politiques de redistribution entre pays européens ». Alors que l’inégalité revient au centre du débat politique, la disparition de « celui qui a probablement le plus contribué à la connaissance de ce phénomène » ne suspend pas la recherche sur cette question cruciale car « il laisse derrière lui des héritiers bien décidés à continuer la tâche » comme Thomas Piketty, par exemple qui fut son élève et travailla avec lui sur les hauts revenus à partir des données fiscales à travers le monde. Elle remet au contraire à l’ordre du jour les solutions qu’il avait imaginées, comme la mise en place d’un revenu minimum pour les enfants à l’échelle européenne, qui constituerait à la fois un investissement de l’UE pour son avenir, une contribution à l’équité entre les générations et un moyen de réduire l’inégalité entre hommes et femmes (le revenu de base étant payé par défaut à la mère).

Dans Libération, un collectif en appelle à renforcer les moyens de lutter contre l’évasion fiscale

Car les effectifs des services de contrôle de la Direction générale des Finances ont chuté de 25%, alors que les pouvoirs publics prétendent avoir fait de la lutte contre la fraude fiscale une priorité, « Au-delà des 21 milliards de redressements, ce sont 60 à 80 milliards d’euros supplémentaires que l’évasion fiscale soustrait chaque année au budget public : il y a donc encore du chemin à faire pour trouver les ressources nécessaires au financement de la transition écologique et sociale ». Le collectif demande la création de milliers d’emplois qui seraient largement compensés par les recettes générées : « chaque agent du contrôle fiscal rapporte au budget de l’Etat plus de 20 fois ce qu’il coûte ». D’autant plus que les inégalités se ressentent cruellement de ce manque à gagner dans la redistribution. Une tribune à l'occasion du procès aujourd'hui à Dax d'un "faucheur de chaises", Jon Palais.

Aux États Unis, l’idéologie néo-libérale met à mal la redistribution en réduisant constamment les programmes sociaux, malgré la présidence Obama

C’est ce que montre Sylvie Laurent dans son livre sur les inégalités raciales : La couleur du marché (Seuil). Sous le couvert du discours sur la responsabilité individuelle, le déni des discriminations raciales les déguise en inégalités sociales dont les victimes seraient les responsables. C’est ainsi que le néolibéralisme « s’attache à défaire la liberté durement acquise des Noirs américains ». Car en niant les inégalités et discriminations structurelles, on fait des Noirs, fatalement exclus des marchés et des institutions, les coupables de leur propre exclusion, et l’on impute à leur inaptitude culturelle ce qui n’est qu’un déni de justice.

Par Jacques Munier

Le grand entretien d' Anthony Atkinson dans L'Humanité.fr

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