

Élections en Autriche avec un net recul de l’extrême-droite et la recherche d’une majorité, manifestations pro-démocratie à Moscou et Hong Kong : ce dimanche était très politique.
Dans Les Echos, Dominique Moïsi évoque « la spectaculaire dérive de nos sociétés démocratiques ». « Dans un monde où les querelles identitaires se sont très largement substituées aux conflits idéologiques, le niveau de division sinon de fragmentation des peuples n’a jamais été plus élevé. » Prenant l’exemple d’Israël, de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, il en mesure le risque : « Rendre nos sociétés ingouvernables ». Même s’il est « trop tôt pour enterrer la démocratie représentative », qui continue d’opposer à l’exécutif des limites à ses abus de pouvoir, « les divisions vont continuer au sein des peuples et à court terme au sein des partis d’opposition qui devraient constituer les principaux freins aux dérives populistes des leaders de l’exécutif ».
« Ça suffit »
De Hongkong à New York en passant par Moscou, un grand « ça suffit » parcourt la planète. Dans les pages idées de Libération, Frédéric Worms entend cette exclamation qui prend diverses formes, traverse tous les pays et les continents, comme « un cri global qui traduit un désir de limites, de régulation et donc de justice ». Pour le philosophe « c’est d’abord un sursaut global face aux dangers globaux, les plus extrêmes, mais aussi les plus partagés », liés à la dégradation de l’environnement. Mais il y voit aussi une forme de résistance aux abus de pouvoir. À quoi cela pourrait-t-il nous conduire ?
Telle ou telle taxe, mais globale. Tel ou tel tribunal, y compris pour les dictateurs. Telle ou telle liberté, reconquise ou garantie. Des limites, fermes et reconnues, mais qui dispensent des replis guerriers supposés en tenir lieu. Un immense «ça suffit» parcourt la planète. S’il pouvait dessiner sur elle autre chose que des murs, mais la forme préservée d’un monde, à parcourir et à explorer, alors nous ne l’aurons pas ressenti, exprimé, entendu, relayé, approfondi, partagé, pour rien.
Le capitalisme de surveillance.
Philosophie Magazine publie un dossier sur la société de contrôle. L’universitaire américaine Shoshana Zuboff a été l’une des premières à prendre la mesure des transformations induites par l’informatique et la robotique dans le monde du travail. Son dernier livre, à paraître chez Zulma, porte un titre éloquent : L’Âge du capitalisme de surveillance. Elle y montre comment les géants du Web ne cherchent plus seulement à capter et à monétiser nos données, mais à prédire et à influencer nos comportements. Selon elle, le déclic se serait produit un jour d’avril 2002 : « cinq pics successifs à cinq moments de la journée pour une seule requête – « nom de jeune fille de Carol Brady », du nom d’un personnage de série télé. La question avait été posée pendant l’émission Qui veut gagner des millions ?, diffusée sur les cinq fuseaux horaires américains. » Pour les ingénieurs de Google, ce fut une révélation : « les requêtes des usagers pouvaient être utilisées comme des signaux permettant de prévoir des événements avant qu’ils n’apparaissent sur les radars des médias traditionnels ». Un tournant qui « a fait pivoter le système du savoir vers le pouvoir : on pouvait alors ajuster, enrôler et modifier les comportements afin que les prédictions aient une plus grande fiabilité ». Tout cela à partir du traitement de nos données, de manière à intervenir en retour sur nos choix, « pour nous guider de sorte que notre action soit plus conforme aux prédictions… et alignée sur les besoins du marché ». Pour Shoshana Zuboff, la prochaine zone d’expansion de cette « surveillance unilatérale, secrète et illimitée » sera la ville, « un espace idéal pour tester la manière dont on peut remplacer le gouvernement démocratique par la gouvernance algorithmique ». Elle évoque une filiale de Google qui installe depuis des années des relais wifi gratuits dans les grandes villes et qui veut conclure un accord avec la ville de Toronto pour la gestion de son front de mer. Tout ce qui s’y passe serait traité comme « urban data », exploitable dans la perspective de décisions publiques.
C’est ainsi que la computation informatique remplace la délibération démocratique. Or, quand ils sont élaborés par des capitaux privés, les algorithmes ont tendance à favoriser leurs détenteurs.
Les prolétaires du web
L’hebdomadaire Le 1 est consacré cette semaine aux nouveaux prolétaires du web. « Les grèves menées par les livreurs Deliveroo et par les chauffeurs Uber ont mis au jour les conditions de travail éprouvantes et la précarité de ces travailleurs prétendument indépendants mais à la merci des exigences édictées par les applications. » Sarah Abdelnour, qui vient de publier avec Dominique Méda Les Nouveaux travailleurs des applis (PUF) évoque le « capitalisme de plateforme », un terme utilisé « pour bien le distinguer de l’économie collaborative » dont il se réclame parfois. La sociologue s’intéresse aux plateformes, car elles représentent « une occasion, voire un prétexte, pour déréguler les statuts d’emploi, bousculer les frontières des professions, le tout en continuant à surveiller et contrôler les travailleurs ». Comme un retour aux conditions les plus aliénantes du travail à la tâche au XIXe siècle.
Par Jacques Munier
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