La vie confinée

Jessy Koch, de l'Orchestre de Mulhouse, en hommage aux personnels de santé
Jessy Koch, de l'Orchestre de Mulhouse, en hommage aux personnels de santé ©AFP
Jessy Koch, de l'Orchestre de Mulhouse, en hommage aux personnels de santé ©AFP
Jessy Koch, de l'Orchestre de Mulhouse, en hommage aux personnels de santé ©AFP
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Comme au premier confinement, les analyses, témoignages et retours d’expérience se multiplient sur cette forme de vie paradoxale et déstabilisante.

Brouillage des repères entre intérieur et extérieur, entre travail et vie privée : en nous désorientant, le confinement serait « bon à penser », selon l’expression de Claude Lévi-Strauss, et sans doute davantage qu’à vivre. La dernière livraison de la revue _Lignes_rassemble des journaux informels du confinement. Sophie Wahnich souligne le caractère indécis du mot lui-même.

Confiner sonne un peu étrangement, comme le font les mots dont on a la sensation qu’ils ont changé de sens sans qu’on y ait pris garde, sens qu’on aura répandu en le traduisant d’une autre langue, en le faisant dévier de « faux amis » en « faux-semblant ».

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L’historienne rappelle qu’au XVe siècle, se confiner c’était aussi « être proche par la parenté », au XIVe ça désignait un objet à borner, comme un champ, et « jusque très récemment, confiner c’était être contigu de quelqu’un ou de quelque chose, être sur des confins ». La contiguïté du travail et de la vie privée en période de confinement fait l’objet du dossier de Philosophie magazine. Alexandre Lacroix s’est entretenu avec, notamment, Pascal Chabot, auteur d’un essai à paraître aux PUF sous le titre Avoir le temps. Après avoir rappelé l’origine monacale et coercitive de « l’emploi du temps », il souligne qu’aujourd’hui, « quelque chose de pire » nous tombe dessus : « l’hypertemps ».

Nos ordinateurs et l’omniprésence des horloges font que nous sommes synchronisés en permanence.

D’où le paradoxe : « le compartimentage de l’emploi du temps a sauté, mais la contrainte temporelle est omniprésente ». À cet égard, les inégalités de genre se sont aggravées en confinement. Pour les femmes, à la charge mentale de la bonne marche du foyer s’est ajoutée cette contrainte diffuse et prégnante du télétravail. Anne Lambert, sociologue à l’Ined, l’Institut national d’études démographiques, a coordonné un dossier de la revue Population et Sociétés, « Le travail et ses aménagements : ce que la pandémie de covid-19 a changé pour les Français ». Elle relève que « les femmes en télétravail sont moins nombreuses à bénéficier d’une pièce isolée – un bureau ou une chambre non partagée – que les hommes ». Et que malgré leur entrain légitime à retrouver l’entreprise après le confinement, elles ont plus souvent perdu leur emploi que les hommes. Mais dans Les Echos, Gabrielle Halpern monte au créneau pour défendre ce qu’elle appelle l’hybridation du travail, entre présentiel et distanciel. « Ce sera tout le défi des prochaines années que de construire ce tiers-modèle, dépassant l’un et l’autre et repensant complètement la manière de travailler, de manager et de collaborer. »

Avoir 20 ans entre quatre murs

Les autres victimes du confinement, ce sont les étudiants. Dans Le Monde, Léa Iribarnegaray évoque les alertes des professionnels de santé sur les risques psychosociaux qui touchent cette population depuis le premier confinement. Nightline, un service d’écoute des jeunes, a vu récemment le nombre de ses appels bondir de 40 %.

On retrouve les thématiques habituelles, dont la solitude, qui frappe une majorité de nos appelants, mais il y a clairement un effet Covid, souligne son président, Florian Tirana, étudiant de 24 ans. Les mêmes problèmes en plus grave : avec une chape de plomb par-dessus.

C’est que « les jeunes cumulent les facteurs de risques ». Les cours à distance favorisent la solitude et « avec la disparition d’une grande partie de leurs stages et autres petits boulots, la précarité étudiante prend de l’ampleur, de même qu’un fort sentiment d’inquiétude face à l’avenir ». Une bénévole de l’association dit avoir été frappée par le poids de ses premières permanences. 

« Il faut nuancer l’image du jeune qui fait la fête et sort tout le temps. Je ne pensais pas que la solitude étudiante concernait autant de monde. On parle beaucoup de l’isolement des personnes âgées… Mais pensez à tous ceux qui débarquent à Paris pour étudier et ne peuvent même plus aller en cours ! » 

Pour l’hebdomadaire Marianne, Violaine des Courières a rencontré plusieurs étudiants de retour chez leurs parents le temps du confinement. Thomas, étudiant en droit à Paris, rentre à Metz : « Ça me fait bizarre de retrouver ma chambre de lycéen – confie-t-il. C’est comme si j’étais redevenu un enfant. » Et Veronica quitte sa colocation à Clermont-Ferrand : « je les imagine déjà, les employeurs regarder mon CV et hocher de la tête en disant « elle appartient à la génération Covid, elle a un diplôme au rabais. »

Par Jacques Munier