La vie, mode d’emploi

Michael Sandel, lauréat du prix Princesa de Asturias 2018, à l'université de Bilbao, 28 mai 2019
Michael Sandel, lauréat du prix Princesa de Asturias 2018, à l'université de Bilbao, 28 mai 2019 ©Maxppp - L. Tejido
Michael Sandel, lauréat du prix Princesa de Asturias 2018, à l'université de Bilbao, 28 mai 2019 ©Maxppp - L. Tejido
Michael Sandel, lauréat du prix Princesa de Asturias 2018, à l'université de Bilbao, 28 mai 2019 ©Maxppp - L. Tejido
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Pendant le confinement, le gouvernement a fait la distinction entre commerces ou activités « essentielles » et « non essentielles ». Des critères qui ont évolué au fil des reconfinements et qui ont ouvert un large débat.

Un débat sur les valeurs qui recoupe celui du degré d’utilité des actions dans la perspective de la vie bonne. C’est le sujet du dossier de Philosophie magazine, qui accueille dans ses pages le dialogue de deux philosophes aux conceptions opposées : Michael Sandel, penseur de la justice qui fonde l’éthique sur un socle de valeurs échappant à la logique du marché, et Peter Singer qui défend l’utilitarisme visant à maximiser, par le calcul rationnel, le bien-être collectif. Michael Sandel admet que dans certaines situations, on puisse rechercher l’utilité du bien mais que "dans d’autres, ce qui compte est d’assurer la dignité, l’honneur ou le respect", ou encore de "s’intéresser au caractère de la personne, à son courage ou à sa lâcheté".

Je suis aristotélicien  : une vie bonne consiste à apprendre à profiter des bonnes choses… mais aussi à souffrir si c’est nécessaire. Ce qui nous donne du plaisir n’est pas une base fiable pour la vie bonne, car on peut prendre du plaisir à des choses mauvaises.

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La discussion roule sur des cas concrets, comme la question des discriminations raciales. Pour Peter Singer, leur abolition ne résulte pas d’un choix moral inspiré par la justice, mais d’une aspiration à une société plus harmonieuse, et donc utile au plus grand nombre. Michael Sandel reproche à l’utilitarisme du marché son évaluation financière de la contribution de chacun au bien commun. Celle d’un manager de fonds spéculatifs est-elle réellement "800 fois plus importante que celle d’une infirmière ou d’un professeur" ? Il parle ainsi "de la valeur de leur contribution plutôt que de son utilité, qui risque de rétrécir ou d’aplatir le sens de cette contribution". À cela Peter Singer oppose la notion d’altruisme efficace

Il s’agit d’inviter ceux qui le peuvent à choisir des carrières vers lesquelles ils ne se seraient pas destinés – banquier dans la finance, par exemple –, afin de reverser une partie significative de leurs revenus à des organisations qui luttent contre la famine et la misère. Ce faisant, ils sauvent plus de vies que s’ils s’étaient engagés dans l’humanitaire… ou s’ils avaient fait des études de philosophie morale.

Mais pour Michael Sandel, celui ou celle qui s’engage directement dans l’action humanitaire réalise en soi-même et non par délégation "un certain type de vie admirable".

Le réel et son double

La crise sanitaire a aggravé les inégalités et elle a placé de nombreux soignants dans des situations de choix éthique où se mêlent des considérations d’ordre utilitariste. C’est ce que relève Peter Sloterdijk dans le FigaroVox en soulignant par exemple que les entraves imposées à l’accompagnement des défunts « sont moins des refus opposés à l’humanité que des aveux de relative impuissance face à un mal supérieur en force ». Et il évoque le cas de ce médecin qui « au cœur du désastre, confessait qu’il n’avait pas le temps de pleurer - que ses larmes coulaient à l’intérieur ». Le philosophe publie chez Payot Faire parler le ciel - un ouvrage sur l’utilité de la religion. Il considère la relation à l’Europe comme une sorte de religion positiviste façon Auguste Comte. Ou au contraire comme une réunion de copropriétaires, tant il est vrai "que l’Europe est aux yeux de beaucoup de ses citoyens une organisation très prosaïque".

À première vue, elle tient plus de l’association de consommateurs que du projet politique. Depuis un an, en raison de la pandémie, nous vivons dans le paradoxe absolu, comme si nous étions internés dans un Club Med.

Sur le média en ligne Uppers, relayé par Courrier international dans la rubrique « La pilule philosophique », l’écrivain espagnol Juan Tallón fait un éloge de la chaise et de son étonnant pouvoir d’attraction. Sa simple présence semble dire “Assieds-toi, et après on verra ce qui se passe”. L’architecte néerlandais Herman Hertzberger estimait que "l’action la plus élémentaire qui permet aux individus de prendre possession de leur environnement immédiat est sans doute de s’asseoir". La chaise est "un message, une idée". Elle met en jeu un système de symboles, "aux effets parfois insoupçonnés".

On l’a vu il y a quelques semaines à Ankara quand le protocole turc, lors du sommet avec la délégation européenne, a disposé des chaises pour Recep Tayyip Erdogan et Charles Michel, mais pas pour Ursula von der Leyen. Sa chaise absente parlait de la société que nous formons et de tout ce qui nous manque.

Par Jacques Munier

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