

Les autorités autrichiennes ont reconnu que le terroriste de Vienne, qui sortait de prison pour avoir tenté de rejoindre la Syrie, avait « trompé » les services judiciaires.
Condamné en avril 2019 après avoir été arrêté en Turquie sur dénonciation de sa mère, il avait bénéficié d’une libération anticipée pour bonne conduite, ayant réussi à convaincre le contrôle judiciaire et une association de déradicalisation qui le suivait. Alex Alber, Joël Cabalion et Valérie Cohen ont mené l’enquête sur l’éphémère centre de prévention et d’insertion à la citoyenneté (CPIC), conçu dans l'urgence après les attentats de 2015 pour détourner les jeunes du djihad. Les trois sociologues viennent de publier les résultats de cette enquête chez Erès sous le titre Un impossible travail de déradicalisation. Clément Beunas en rend compte pour le site La vie des idées. Les instigateurs de ce « centre de déradicalisation » avaient imaginé une prise en charge « mêlant approche cognitivo-comportementale, instauration d’une discipline d’inspiration militaire, suivi psychologique et tentative de réinsertion professionnelle ». Très vite des tensions sont apparues entre la direction de l’établissement, confiée à un binôme d’anciens militaires qui veulent imposer le port de l’uniforme, la levée du drapeau hebdomadaire, la récitation de la Marseillaise, et les éducateurs spécialisés, porteurs d’une approche plus éducative. Par ailleurs, « initialement conçu pour accueillir des volontaires en voie de radicalisation, mais non judiciarisés, le centre peine à attirer les candidats aspirant à leur déradicalisation ». Et le « volontariat » est vite devenu un « volontariat forcé », le recrutement se faisant « sur la base d’un chantage exercé par les cellules préfectorales ». La question de la pratique religieuse est également problématique : pas explicitement interdite, elle est entravée par un emploi du temps lui laissant peu de place, ce qui sera l’occasion pour les jeunes de multiplier les entorses au règlement. Et pour les agents de songer à recruter un aumônier destiné à guider leur pratique religieuse et « à s’engager dans la réforme de leur religiosité ».
L’échec du projet met en lumière l’opposition de deux conceptions de la « déradicalisation » : celle des éducateurs, « adeptes d’un travail éducatif ordinaire marqué par la relation de confiance et le développement d’un esprit critique », et celle des tenants « d’une formule militarisée du travail social passant par l’apprentissage d’une histoire de France sans aspérités, ponctuée par la pratique de rites collectifs ».
Hugo Micheron a étudié la radicalisation en prison, ainsi que la stratégie des « revenants de Daech », à partir d’entretiens avec des terroristes incarcérés, une enquête publiée en janvier dernier sous le titre Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons (Gallimard).Aujourd’hui, il revient dans le FigaroVox sur la mutation du djihadisme depuis la destruction de l’État islamique sous sa forme territoriale en Irak et en Syrie. Et il insiste sur la dimension européenne – et pas seulement française – de cette reconfiguration, que l’attentat de Vienne a tragiquement illustrée.
La dynamique islamiste précédait Daech. Et depuis que Daech a été détruit, ces dynamiques n’ont pas disparu. Elles ont même en partie été réimportées en Europe notamment à travers l’incarcération des djihadistes.
C’est pourquoi il invite à la fois à prendre en compte cette dimension européenne et à suivre de près ce qui se passe en prison. Il souligne par exemple que « le foyer djihadiste originel en Europe, dans les années 1990, avait pris forme au cœur de la capitale britannique dans ce qui était alors désigné comme le Londonistan, et était composé d’anciens idéologues du djihad en Afghanistan ». Puis, à l’avènement de l’État islamique, ce sont 5000 Européens, à majorité en provenance de quelques pays d’Europe du Nord-Ouest qui sont partis le rejoindre. Ces mouvements de combattants européens « étaient révélés par l’État islamique, mais non créés par celui-ci ». Et pour ce qui est des prisons, il estime qu’« il y a une vraie question autour de la sortie dans les cinq prochaines années de dizaines et de dizaines de djihadistes ».
À Vienne, l’aumônier musulman des prisons – rencontré par Jean-Baptiste Chastand pour Le Monde – ne se souvient pas d’avoir suivi le jeune terroriste. « Je suis seul pour 550 prisonniers », explique-t-il. L’EI a revendiqué l’attentat dans une vidéo où celui qui se fait appeler « Abou Doujana Al-Albani », en référence à ses origines albanaises, prête allégeance à l’organisation, laquelle assure que son but était « d’attaquer les croisés », alors que l’une des victimes « est un autre Albanais de Macédoine du Nord, venu chercher une vie meilleure en Autriche ».
Par Jacques Munier
À lire aussi : revue DEDANS DEHORS n°108 Prise en charge de la radicalisation en prison : la grande illusion. La revue de l'OIP (Observatoire international des prisons - section française publie un dossier très complet sur le sujet. "L’augmentation du nombre de personnes incarcérées pour des affaires en lien avec le terrorisme et les risques de radicalisation des détenus de droit commun ont, ces dernières années, mis les prisons sous pression. Mais face à des injonctions contradictoires, l’administration pénitentiaire peine à donner un sens à leur prise en charge. Bien souvent, la sécurité l’emporte sur l’accompagnement, et l’objectif de neutralisation sur celui de réhabilitation."
À retrouver dans Le journal des idées
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