

Des sociétés de journalistes déclarent dans une tribune du Monde qu’en limitant la diffusion d’images des forces de l’ordre, l’article 24 de la loi “sécurité globale” - dont l’examen commence aujourd’hui à l’Assemblée - menace la liberté d’informer.
Ainsi que celle de tout citoyen... Je cite « Les rapporteurs du texte affirment qu’une telle disposition ne trouverait à s’appliquer qu’à des diffusions clairement malveillantes ». Mais les signataires soulignent que « la loi française réprime déjà les menaces, les atteintes à la vie privée et le cyber-harcèlement » et ils dénoncent « la notion, très floue » du critère « d’intention malveillante ».
Il y a fort à craindre que sur le terrain, les policiers, qui s’opposent déjà bien souvent, y compris par la force, aux captations photo et vidéo – pourtant parfaitement légales – de leurs opérations dans l’espace public, se sentent plus fondés que jamais à les entraver.
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Et que les médias renoncent à « diffuser des images d’interventions houleuses, de peur de faire l’objet de procédures-baillons ». Quant aux simples citoyens ou aux militants d’associations de défense des droits, ce sont souvent les vidéos de violences commises par les forces de l’ordre « qui ont permis d’inscrire ce sujet dans le débat démocratique ». Dans les pages idées du quotidien, Vanessa Codaccioni rappelle que les législations d’exception « introduisent une faille dans le droit commun susceptible de se retourner contre d’autres cibles » et qu’elles sont le plus souvent destinées à s’y maintenir durablement. La mise en perspective historique l’illustre parfaitement, c’est l’angle adopté par la chercheuse livre après livre pour enquêter sur la répression politique. Le 14 octobre, elle était auditionnée à l’Assemblée nationale dans le cadre de la commission d’enquête relative aux pratiques et doctrines de maintien de l’ordre. Elle avait « beaucoup insisté sur la nécessité de pouvoir continuer à filmer les interventions policières ».
Les doctrines de maintien de l'ordre
C’est un moyen essentiel en démocratie pour contrôler et dénoncer les dérives du maintien de l’ordre. Les exemples sont malheureusement trop fréquents, et témoignent d’une « brutalisation », comme le montrent Olivier Filleule et Fabien Jobard dans leur ouvrage sur la police des manifestations en France, publié au Seuil sous le titre Politiques du désordre. On est passé d’une doctrine de pacification dans les années 1980 à un durcissement patent dès les années 2000. S’il est vrai que les services d’ordre assurés par les syndicats se sont affaiblis à mesure que déclinait leur représentativité et leurs moyens humains, que les formes de la manifestation ont évolué, et que les black blocs sont montés en puissance, les auteurs signalent également « l’érosion des capacités traditionnelles de maintien de l’ordre sous l’effet des politiques de restriction budgétaire, en lien avec le recul de la formation », ainsi que la judiciarisation exponentielle de l’occupation contestataire de l’espace public. La manifestation de rue est de moins en moins considérée comme légitime. Et au final toujours moins efficace en termes de résultats. C’est ce que documente également Danielle Tartakowsky dans un ouvrage publié aux Éditions du Détour sous le titre On est là ! La manif en crise. Les manifestations massives qui avaient fait reculer Alain Juppé et sa réforme de la Sécurité sociale semblent bien loin mais cette forme d’action collective se réinvente partout dans le monde avec les luttes altermondialistes, et en France avec des modalités nouvelles d’occupation de l’espace, des ZAD aux places ou aux ronds-points. L’historienne des mouvements sociaux relève une édifiante concomitance entre la baisse du nombre de journées de grève hors fonction publique et l’augmentation de la fréquence des manifestations.
Terrains minés
La dernière livraison de la revue Sociologie publie un dossier sur les enquêtes « à chaud » dans les mouvements sociaux. Comment garder « la distance sociologique » garantissant « la neutralité axiologique » lorsque l’enquête se fait au sein même des mouvements sur le mode ethnographique de l’observation participante ?
Comment saisir et comprendre les faits quand l’occupation d’un même espace public est différenciée, que les acteurs mobilisés mutent au fil des heures et des jours ? » Serge Paugam et Sandrine Rui.
C’est le cas pour les Gilets jaunes, étudiés sous cet angle par Quentin Ravelli, enquêtant à la fois sur un rond-point dans le Loiret et le samedi dans les manifestations parisiennes, souvent entravé dans ses relations par le risque de brouillage entre enquête sociologique et médiatique.
Un risque qui semble avoir au contraire bénéficié à Mathieu Hocquelet dans son enquête sur les conflits du travail dans les industries de main d’œuvre à bas salaire nord-américaines – grande distribution et restauration rapide – réputées pour leurs pratiques antisyndicales. Là, les médias sont considérés comme des relais ou des soutiens.
Par Jacques Munier
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