Le fait religieux

L'incarnation est un art difficile...
L'incarnation est un art difficile... ©AFP - Samuel Boivin
L'incarnation est un art difficile... ©AFP - Samuel Boivin
L'incarnation est un art difficile... ©AFP - Samuel Boivin
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Vote des catholiques et place de l’islam en France, tensions entre sunnites et chiites au Moyen Orient : les faits religieux font aussi l’actualité.

C’est pourquoi le site de La Croix leur a ouvert une rubrique spécifique. Le quotidien l’inaugure aujourd’hui dans sa version papier avec l’interview en pages Débats de Jean-Paul Willaime, qui revient sur cette notion de « fait religieux », apparentée à celle que Durkheim avait désignée comme « fait social ». Elle permet de rendre compte de tous les aspects du religieux : « des faits collectifs – puisqu’ils génèrent des sentiments communautaires et des pratiques collectives – matériels – comme en témoignent toutes les traces, architecturales, picturales ou littéraires, issues des différents patrimoines religieux –, sensibles – puisqu’ils se fondent sur du vécu, de l’expérience, et enfin symboliques (les représentations du divin, les rites, les pensées théologiques) ». Le directeur d’études émérite à l’École pratique des hautes études constate « qu’il y a actuellement une forte demande sociale de connaissance et de compréhension du fait religieux, qui peut notamment s’expliquer par une baisse de la pratique », ainsi qu’une volonté de dépasser les malentendus que suscitent les polémiques à cet égard. Jean-Paul Willaime avait été associé à l’initiative lancée par Régis Debray sur l’enseignement laïque du fait religieux, et à L'Institut européen en sciences des religions qui en est issu. Le retour du religieux, dans la pratique comme dans les questions qu’il soulève, est un phénomène « bon à penser », dirait Lévi-Strauss. La meilleure preuve en est la multiplication et le succès des revues qui en traitent.

L’une d’entre elles se distingue par son ouverture à toutes les traditions spirituelles du monde, la revue Ultreïa

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De la chronique d’Alain Geoffroy sur le soufisme dans toute sa diversité, à celle de Fabrice Midal sur les nombreuses voies du bouddhisme, la revue propose un large éventail des ressources de la grâce pour échapper à la pesanteur de notre condition matérielle, selon la belle formule de Simone Weil. Dans sa dernière livraison, Aliette Armel retrace le parcours en boucle vers les origines de Le Clézio. Des prophéties de Chilam Balam, sa traduction du texte mythologique des Maya, et sa connaissance des civilisations amérindiennes qui lui vaut en 2010, l'ordre de l'Aigle aztèque mexicain en tant que « spécialiste des civilisations antiques mexicaines »*, à Désert, l’écrivain arpente tous les chemins perdus du Dieu absent. « Les mythes affleurent. À chaque instant, à chaque endroit la parole peut les faire jaillir, comme si la force du commencement vibrait encore, dans les pierres, les arbres, dans l’eau des torrents », écrit-il dans Raga. Approche du continent invisible, pour décrire comment le religieux s’inscrit dans le réel au Vanuatu. Le prix Nobel, chantre d’une littérature-monde, revient sur le soufisme dans Gens des nuages : « un des plus grands courants philosophiques de l’histoire – selon lui – qui mêle à la loi du prophète la raison des Grecs, la force biblique, la profondeur de la méditation du Védanta, ainsi que l’ironie christique ».

Dans le même N° de la revue Ultreïa, Jean Delumeau accorde un grand entretien à Christiane Rancé

L’historien des mentalités religieuses, qui se définit comme un catholique fervent, observe que « quelles que soient les singularités des races et des cultures, l’homme se définit avant tout comme un homo religiosus ». Lui qui avait publié un ouvrage collectif intitulé Le Fait religieux s’inscrit pour son compte dans une approche historique et anthropologique du christianisme avec ses enquêtes approfondies sur le péché ou la peur au Moyen Âge. À propos du débat sur l’islam en France, il se désole du « climat d’anxiété qui l’entoure ». Car « la régression vers la peur est le danger qui guette constamment le sentiment religieux ». Ce qu’il appelle le « laïcisme » le met mal à l’aise car il y voit l’expression d’une « anti-religion », contraire à l’esprit de la loi de 1905 qui promeut au contraire une neutralité sans hostilité à l’égard des cultes.

La position n’a pourtant rien d’évident, quand la religion s’invite ouvertement dans la campagne présidentielle

Si l’on excepte le candidat en perdition qui s’affiche catholique sans vergogne pour faire passer ses manquements à la morale, on tombe sur la posture messianique de ceux qui n’ont rien d’autre à vendre que leur personne. Il faut dire, comme le souligne Jean Rouaud dans L’Humanité, que l’aspect rituel de l’élection présidentielle invite à ce genre de personnification, dans le paradoxe qui en appelle « dans un même mouvement à la fois l’idée d’un homme providentiel – sauve-nous – et sa dénégation – tu n’y arriveras pas. » Pour l’écrivain, il y a un reste de croyance dans la mystique de l’élection, que certains tentent de capter à leur profit. Mais « l’incarnation est un exercice difficile qui consiste à intégrer l’idée du multiple dans l’un ». Que même « une posture christique, bras ouverts en haut de la tribune plantée comme une croix » ne suffit pas à transfigurer en « hologramme du corps glorieux ».

Par Jacques Munier

* Le président Felipe Calderón décrit alors l'écrivain comme « un prix Nobel français très mexicanisé »…

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