Le monde des géographes

Le mont Blanc, "un pic assez haut pour embrasser toute la terre"...
Le mont Blanc, "un pic assez haut pour embrasser toute la terre"... ©Getty
Le mont Blanc, "un pic assez haut pour embrasser toute la terre"... ©Getty
Le mont Blanc, "un pic assez haut pour embrasser toute la terre"... ©Getty
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C’est la 31e édition du festival international de géographie de Saint-Dié-des Vosges, avec pour thème cette année le climat.

Être géographe, pour Jean-François Staszak, c’est « regarder la distance avec distanciation ». Du coup il se livre à l’exercice dans Libération en analysant ce que la distanciation sociale imposée par la pandémie a modifié dans nos esprits, en commençant par le terme lui-même. « C’est une mauvaise traduction de l’anglais social distancing, expression datant de la lutte contre la grippe espagnole en 1918. » L’expression renvoie aujourd’hui à un marquage social, ce que Bourdieu avait étudié comme la « distinction » : le langage, le vêtement, les goûts ou le quartier de résidence. À la fois symbolique et sociale, la distanciation est aussi matérielle et culturelle : les places occupées dans l’espace ont une fonction, elles tracent « une frontière entre la distance personnelle et la distance sociale. La première dessine autour de nous une bulle dans laquelle ne peuvent entrer sans susciter de malaise que les plus proches. La seconde s’impose aux personnes avec qui on a des rapports… plus distants : connaissances et collègues de travail par exemple. » La distanciation requise dans le cadre des « gestes barrières » standardise une nouvelle norme, elle exerce une pression sur le corps social qui n’est pas sans créer « un certain malaise dans l’espace public ». Et surtout, souligne le géographe de l’université de Genève, elle nous fait prendre conscience que « le positionnement des uns vis-à-vis des autres était finement négocié, et réglé par le statut social et les circonstances, en fonction des usages et du bon sens ». Et que cela, sans qu’on y pense, n’avait rien de naturel ou d’anodin.

Montagne durable

Le thème de cette 31e édition du Festival de géographie de Saint-Dié, c’est donc le climat. La montagne est un bon poste d’observation du réchauffement climatique. La dernière livraison de la belle revue L’Alpe est consacrée au développement durable et à la transition écologique. Emmanuel Reynard fait le point en précisant que le massif alpin connaît une grande variété de conditions climatiques, des climats méditerranéens de la Durance ou des Alpes ligures aux climats humides et froids des Préalpes suisses. Mais dans l’ensemble, les températures y « augmentent plus vite qu’à l’échelle globale ». Le professeur de géographie physique à l’université de Lausanne souligne qu’en Suisse, les températures moyennes ont augmenté de 2°C en un siècle et demi, contre 0,9°C au niveau global. L’un des facteurs principaux est lié à la réduction du manteau neigeux qui diminue le pouvoir réfléchissant des surfaces : « en moyenne, la neige s’installe douze jours plus tard et disparaît vingt-cinq jours plus tôt qu’il y a cinquante ans ». Le réchauffement a des conséquences directes sur les écosystèmes. Les espèces, animales ou végétales « migrent en latitude vers le nord et en altitude vers le haut ». 

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Le décalage entre les besoins des espèces et les conditions d’habitat provoque une sélection au profit des espèces moins exigeantes.

Les solutions durables passent par « la recherche d’un nouvel équilibre entre les dimensions écologiques, économiques et sociales des territoires de montagne ». D’où l’importance de l’exploitation agro-pastorale, qui entretient le couvert végétal, et dont Jean-Claude Duclos retrace l’histoire longue en montrant comment les communautés alpines d’antan s’organisaient et géraient les ressources naturelles. Une leçon qui a inspiré les gestionnaires des parcs et des réserves en recourant aux éleveurs pastoraux transhumants. Le directeur du Musée dauphinois se réfère notamment aux travaux de l’anthropologue Hariett Rosenberg sur la commune d’Abriès dans le Queyras, à l’aube du XXe siècle.

D’un système égalitariste, basé sur l’activité agropastorale et le travail d’une main-d’œuvre nombreuse, où les décisions se prenaient en commun, Abriès est passée à la production laitière subventionnée, dépendant d’une toute puissante industrie agroalimentaire.

Histoire marchée

Il n’est pas géographe mais historien : Michelet a arpenté les Alpes en rendant un hommage appuyé au Mont-Blanc – « cet illustre solitaire ».

Je ne sais quoi d’énorme, éclatant, en mouvement, et qui venait droit à moi. C’était un chaos lumineux…

Les éditions Le Pommier rééditent l’un de ses ouvrages les moins connus, La Montagne, qui fait la part belle aux Alpes sans exclure ses périples dans les Pyrénées. La montagne est pour lui comme une méthode de méditation et d’histoire marchée, souligne Antoine de Baecque dans sa préface. 

Après une longue nuit passée dans les basses vallées, trempé du morfondant brouillard, je vis, deux heures avant l’aurore, les Alpes déjà roses dans le bleu du matin.

Michelet n’ignore pas la dimension hydrographique du « réservoir de l’Europe » : « l’eau, c’est de la vie commencée ».

Hommage au Rhône, à son cours véhément...

Torrent d’abord, fleuve à Genève, repris par les eaux de Savoie, il se refait encore torrent. Telle est sa versatilité.

Par Jacques Munier

31e édition du Festival international de géographie de Saint-Dié-des Vosges