Le nouveau front turc en Syrie

Le temple néo-hittite d'Ain Dara, détruit par l'aviation turque
Le temple néo-hittite d'Ain Dara, détruit par l'aviation turque ©AFP - D. Souleiman
Le temple néo-hittite d'Ain Dara, détruit par l'aviation turque ©AFP - D. Souleiman
Le temple néo-hittite d'Ain Dara, détruit par l'aviation turque ©AFP - D. Souleiman
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Pour ajouter à la confusion, la Turquie ouvre un nouveau front en Syrie contre les Kurdes, sur les ruines encore fumantes de l'Etat islamique.

L'offensive turque piétine à Afrin – résume Allan Kaval dans Le Monde. Lancée le 20 janvier, elle « est entrée dans sa troisième semaine avec des airs de sale guerre tandis que les lignes de front semblent s'enliser. Si les assaillants ont rogné l'enclave sur plusieurs axes, les miliciens syriens armés par Ankara, n'ont réalisé que des percées assez limitées ». Soutenus par les blindés, l’artillerie et les frappes aériennes turques, ils n'ont pas pénétré au-delà d'une dizaine de kilomètres. Le journaliste rappelle que « les combattants kurdes qui défendent Afrin appartiennent aux Forces démocratiques syriennes (FDS), partenaires de la coalition internationale contre l'organisation Etat islamique (EI) emmenée par Washington. Les liens de leur encadrement avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en font un ennemi aux yeux d'Ankara. » Des liens jadis protégés, entretenus voire instrumentalisés par l’État syrien dans son contentieux territorial avec la Turquie sur Antioche, ainsi que sur le cours de l’Euphrate et les barrages qui en retiennent le débit côté turc. Aujourd’hui Afrin apparaît bien isolée, car il n’y a « pas de continuité territoriale entre l'enclave kurde du nord-ouest syrien et les territoires tenus par les FDS sur la rive gauche de l'Euphrate, où les forces armées américaines mais également françaises et britanniques sont présentes. Pourtant, Afrin commence à recevoir des renforts militaires qui transitent par les zones tenues par le régime syrien, suggérant un feu vert au moins tacite de Damas ou des forces russes présentes dans la région. » Un paradoxe, puisque « l'opération turque n'aurait pu être déclenchée sans l'assentiment de Moscou, puissance protectrice de Bachar Al-Assad et maîtresse de l'espace aérien dans cette partie de la Syrie ». Badran Jiya Kurd, un cadre politique kurde, estime que le gouvernement syrien pourrait reprendre le contrôle des régions frontalières de la Turquie pour mettre fin au conflit. « Mais aucun accord n'a été trouvé avec Damas à ce stade » précise-t-il. Car le régime syrien et les FDS demeurent dans un rapport de force tendu, en raison de leurs liens avec la coalition internationale. « C'est donc la capacité des forces kurdes à contenir les coups de boutoir d'Ankara qui pourra déterminer à terme les conditions plus ou moins favorables d'un éventuel accord avec Damas – estime Allan Kaval. Les FDS n'ont guère le choix. De fait, leurs alliés occidentaux cantonnent leur soutien aux territoires du nord-est et ils sont paralysés, dans le cas d'Afrin, par les pressions turques et la présence russe non loin. » Toujours est-il, confirme l’envoyé spécial de Libération Quentin Raverdy, que « Si le président turc promettait d’emblée une opération «rapide», sur le terrain, la progression des forces turco-syriennes reste lente. Selon les derniers chiffres communiqués le 2 février, environ 115 kilomètres carrés (soit 3 % du canton d’Afrin) seraient passés sous le contrôle de l’ASL. Et le bilan militaire est déjà lourd, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) : 22 soldats turcs et 123 combattants rebelles auraient été tués. Côté kurde, on dénombrerait 117 morts. 68 civils, dont 21 enfants, auraient perdu la vie lors des bombardements et des combats au sol. » _Courrier international_publie un article d’Anthony Samrani dans L’Orient-Le jour, de Beyrouth, qui détaille les enjeux du point de vue des forces en présence : « La bataille d’Afrin est venue rappeler à ceux qui semblaient en douter que la guerre syrienne n’est pas encore terminée. Première grande confrontation post-État islamique (EI) sur le territoire syrien, l’offensive menée par Ankara contre les milices kurdes marque l’entrée dans une nouvelle phase du conflit, où les divergences qui avaient été mises entre parenthèses au nom de l’unité contre l’EI refont surface. Il en ressort un tableau qui, malgré les annonces victorieuses de part et d’autre, ressemble à une pétaudière que personne ne parvient à dominer complètement. » Pour les Turcs, l’offensive permet au président de rallier tous les nationalistes sur le plan intérieur et de briser l’élan kurde avant qu’il ne tire les dividendes de sa participation décisive à la victoire contre l’EI. De leur côté, les milices kurdes veulent résister le plus longtemps possible en espérant que leurs alliés occidentaux feront pression sur Ankara. Quant à Damas, le régime « regarde la bataille d’Afrin comme un animal qui attendrait que ses proies s’entre-déchirent pour achever la plus faible d’entre elles. » Moscou, en plein fiasco diplomatique à Sotchi, n’est pas mécontent de prendre un ascendant sur son adversaire turc en lui autorisant l’opération. Et la continuation de la guerre, tout comme l’affaiblissement de l’allié américain des Kurdes « permettent à Téhéran de continuer à jouer sa propre carte, sans passer par un règlement global du conflit qui l’obligerait sans doute à faire des concessions. » Dans le Figarovox, Céline Pina et Pierre Raiman signent une tribune sous ce titre : Entre l'islamiste Erdogan et les Kurdes d'Afrin, la France doit choisir ! « Les combattants kurdes ont été nos meilleurs alliés contre L'État Islamique. L'Histoire retiendra que la première victoire dans cette guerre, nous la leur devons. Sur le terrain, ce sont les jeunes hommes et femmes kurdes, qui en 2014, ont arrêté l'État Islamique à Kobane et brisé son mythe d'invincibilité. » 

Par Jacques Munier

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