Le "nouveau journalisme"

Feuilleton N°15
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Au croisement de l’enquête ethnographique, de la littérature et du témoignage subjectif: la narrative non-fiction

Alors que les pourparlers de Genève sont suspendus, les bombardements russes et syriens sur la population se poursuivent dans l’indifférence générale

Et continuent de pousser vers nos côtes des cohortes de réfugiés. Depuis la mort du petit Aylan, plus de 300 enfants se sont noyés en Méditerranée. Le Monde publie le reportage et le témoignage bouleversant d'un photographe de l’AFP, et Charlie Hebdo celui de Patrick Chesnet sur un navire de la MOAS – Station d’assistance offshore pour les migrants. L’urgence qui s’impose, l’indignation, la colère qui, comme on sait, n’est pas bonne conseillère, peuvent pourtant inspirer des idées. Désormais financée par des dons, la MOAS est celle du riche dirigeant d’une compagnie d’assurances basée à Malte et assurant les humanitaires, journalistes et personnels de sécurité en mission dans les zones de combat. Ayant armé un ancien chalutier de 40 mètres transformé en bateau-école pour la marine US, qu’il a équipé de drones et de canaux de sauvetage, et doté d’un équipage rompu à ce genre d’opérations ainsi que d’une équipe médicale, Christopher Catrambone a contribué à sauver près de 12000 personnes. Et en Syrie, l’idée c’est désormais dans les zones rebelles d’enfouir les hôpitaux sous terre pour les protéger de la chasse russe. Les écoles, là où il en reste, suivront sans doute le même chemin. Et au final, mourir sous les bombes ou en mer Egée, à ceux qui partent il reste une chance supplémentaire de survivre.

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Sans mauvais jeu de mots, on a vu débarquer en France une forme de reportage pratiquée depuis longtemps aux Etats-Unis : le journalisme d’immersion

Au croisement de l’enquête ethnographique, de la littérature et du témoignage subjectif, c’est la narrative non-fiction. Tom Wolfe a théorisé ce genre nouveau qui emprunte aux techniques de l’écrivain : dialogues transcrits intégralement, discours indirect libre, première personne du singulier – la subjectivité étant considérée plus proche de la vérité que l’objectivité. Les Inrockuptibles ont rencontré le jeune éditeur qui, à l’ombre de Gérard Berréby et des éditions Allia, a diffusé en France cette forme littéraire de journalisme dont Florence Aubenas est aujourd’hui chez nous la meilleure représentante. Adrien Bosc a lancé la belle revue Feuilleton, où il publie les grands classiques du « nouveau journalisme » comme Gay Talese. « Il a toujours un regard biaisé – dit-il à propos de ce pionnier – on l’envoie faire un reportage sur un match de boxe, il revient avec le portrait du mec qui sonne le gong. » On trouvera dans la dernière livraison de la revue le reportage d’une autre pionnière de cette forme de journalisme en « observation participante » : Nellie Bly, qui a partagé en l’occurrence le quotidien des ouvrières d’une fabrique de boîtes de papier « afin de témoigner du sort indigne qui leur est réservé ». Adossée à la revue, la maison d’édition du Sous-sol a également publié son enquête dans un asile, 10 jours en immersion où elle s’est fait passer pour folle à seule fin de révéler les terribles conditions de vie des internés.

D’une revue l’autre : en guise d’hommage à l’anthropologue Daniel Fabre qui nous a quittés récemment, vous évoquez le dernier numéro de L’Homme, la revue fondée par Lévi-Strauss

Le spécialiste des traditions orales, des contes et des cultures locales de notre pays en avait justement coordonné le dossier consacré à la chanson, « épopée de la chose » pour le philosophe Alain ou « coquilles de clameurs » selon Bachelard. Son œuvre est là, dispersée en articles dans les revues de sciences humaines et sociales, qui projette sa lumière sur nos rites familiers, la diversité de nos goûts et choix culturels. Dans la première de ses contributions sur l’empreinte de la nostalgie dans la chanson – « la rencontre et la brève coalescence d’un passé parfait et d’un présent trop vide » – Daniel Fabre indique en passant sa conception de l’anthropologie, qui « quel que soit son objet affiché, n’est jamais qu’une Exégèse des lieux communs, pour reprendre le titre de Léon Bloy, car le lieu commun naturalisé est un concentré du monde de relations déjà là que l’on nomme culture ». « La chanson chante une autre chanson », la connaît-on ? dans la deuxième contribution à ce dossier il analyse le passage des bals d’été de son adolescence à l’écoute plus solitaire ou « entre copains » des groupes qui sont apparus dans les années 60 , les Beatles ou les Rolling Stones, et les modes nouveaux de pratiques sociales et culturelles que ces évolutions ont engendrés. Le titre de l’article : Rock des villes et rock des champs

Par Jacques Munier

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