

Donald Trump, J. Bolsonaro, Boris Johnson, Matteo Salvini, Viktor Orbán, Rodrigo Duterte, Jean-M. Le Pen, Recep Tayyip Erdogan : malgré les différences entre ces différents leaders, on les qualifie de populistes. Le populisme est-il en passe de devenir une nouvelle catégorie de sciences politiques ?
Cette identification, les dirigeants populistes l’accréditent eux-mêmes en affichant souvent une sorte d’entente cordiale de façade entre eux, dans un mélange savamment dosé de conservatisme social et culturel, et de comportement non-conventionnel, voire carrément vulgaire. Issus la plupart du temps des élites qu’ils conchient, par leur niveau social et économique, leur formation ou leur audience médiatique, ils adoptent une posture « populo » où se réduit la vacuité de leur programme politique et l’inflation de leur ambition personnelle. "Agiter le peuple avant de s’en servir, sage maxime" disait déjà Talleyrand. L’hebdomadaire Le 1 s’emploie à scruter ces deux dimensions : politique et comportementale du populisme. Pour Vincent Martigny, les deux sont indissociablement liées : dans la course aux places disponibles pour l’exercice du pouvoir, les saillies n’ont rien du dérapage incontrôlé. C’est une manière de parachever la tendance d’un "_univers politique dominé par l’incarnation, où l’_être est devenu plus important que le faire".
L’épuisement des idéologies, la généralisation du marketing politique, l’incapacité des dirigeants traditionnels à penser le monde ont progressivement mité la légitimité de la politique conventionnelle.
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D’où la brèche ouverte où s’engouffre cette nouvelle génération de « politicards », bien décidés à ne rien changer à l’état des choses. Dans la panoplie des postures, le politiste relève notamment "_l’exhibition caricaturale des critères de la virilité, une occasion d’affirmer un ordre genré face aux remises en cause des relations traditionnelles entre hommes et femme_s". Une politique du corps incarné qui lâche la bonde à la tournure affective des relations citoyennes, où "_les rapports de force légitimes disparaissent au profit d’alchimies personnelles, générant des conflits qu’il devient impossible de solder par la délibération et la négociatio_n". Vincent Martigny analyse les ressorts de la langue des populistes. "Elle transforme les auditeurs en consommateurs de petites phrases, de clashes et de buzz qui sont habituellement l’apanage des programmes télévisés". Indifférente à la complexité des faits, elle fonctionne comme « ce que Pierre Rosanvallon nomme une langue des intentions, censée faire apparaître comme par magie des solutions viables. Un discours purement performatif, surfant sur le spectacle et la déréalisation. » Avec des « mots-poisons qui brutalisent la langue de l’intérieur », et « colonisent les imaginaires » : immigration, assistanat, droit-de-l’hommisme…
BoJo le clown
Dans ce n° de l’hebdomadaire Le 1, William Boyd fait le portrait de Boris le menteur, un déguisement très malin.
Sous ses dehors plaisants d’Anglais typique, plein d’humour, capable d’autodérision, prompt à l’ironie, se cache une personnalité nettement plus cynique et inquiétante.
L’écrivain écossais relève les constants mensonges que la presse britannique ne cesse d’épingler. "Pour quelqu’un de normalement constitué, il n’est pas banal d’être identifié par tout un chacun comme un menteur chronique dont le moindre propos est suspect et sujet à caution." Issu d’une minuscule caste de privilégiés, comme Cameron avant lui, il confirme et accélère la débâcle accélérée par "_la désastreuse et veule tentative d’apaiser les europhobes du Parti conservateur en leur offrant un référendum binaire sur un sujet aussi incroyablement complexe et subtil que la sortie de l’Union européenn_e".
Le style populiste
"Ce moment populiste – les quatre affreuses années depuis le Brexit – nous a plus appris sur la démocratie que soixante-dix ans de routine parlementaire" écrit Mauro Barberis dans la dernière livraison de la revue Esprit. Et notamment, que « la démocratie libérale est le dispositif le plus simple pour légitimer et contrôler les gouvernants ». Le juriste analyse les évolutions qui ont abouti à ce stade caricatural de la démocratie : la concentration des pouvoirs au profit de l’exécutif, "conséquences de deux guerres mondiales, d’une guerre froide et de plusieurs guerres asymétriques – conflits parfois déclarés mais jamais traités par les parlements", "l’évidement de la démocratie par la mondialisation", la "désaffection et la volatilité de l’électorat", la crise des idéologies et des partis politiques traditionnels, la personnalisation du pouvoir et la médiatisation de la politique…
Les électeurs sont devenus des consommateurs de politique
Mauro Barberis observe que les définitions du populisme oscillent entre la notion de démagogie et l’idée de « style politique ». C’est sous cet angle que le Groupe d’études géopolitiques de l’Ecole normale supérieure a choisi d’étudier le phénomène, dans un ouvrage collectif paru aux Editions Amsterdam sous le titre Le style populiste. Ainsi envisagé, en soulignant notamment l’importance des réseaux sociaux dans l’affaire, le populisme apparaît comme une « méthode », née d’une instabilité profonde de la reproduction des élites et des systèmes politiques, pour s’emparer du pouvoir.
Par Jacques Munier
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