

Aujourd’hui, les Kurdes irakiens votent par référendum pour l’indépendance du Kurdistan d’Irak.
Une région déjà largement autonome et dont Kendal Nezan rappelle dans Le Monde, les progrès réalisés dans un contexte « des plus difficiles » : la reconstruction d’un pays dévasté, la mise en place d’« un système démocratique, certes imparfait mais respectueux des droits de l'homme, du pluralisme politique, culturel et religieux, des droits des femmes », les investissements massifs « dans la culture et l'éducation en créant une trentaine d'universités dont certaines enseignent en anglais ». Le président de l’Institut kurde de Paris souligne que « les meilleurs alliés de nos démocraties dans la guerre contre Daech honorent les valeurs occidentales dans une région du monde où elles sont diabolisées ». Et que « les minorités ethniques ou confessionnelles de ces territoires sont appelées au même titre que les Kurdes à se prononcer par oui ou par non à la même question libellée en quatre langues - kurde, araméen, arabe et turkmène - " Voulez-vous que la région autonome du Kurdistan et les territoires du Kurdistan situés en dehors de cette région deviennent un Etat indépendant ? " Mais les puissances occidentales se sont opposées à la tenue du référendum, craignant que son résultat prévisible n’aggrave l’instabilité dans la région. Les pays voisins sont vent debout, à l’exception d’Israël, pourtant soucieux de stabilité à ses frontières. Allan Kaval et Piotr Smolar rappellent d’ailleurs dans le site du quotidien les liens militaires et économiques entre les deux pays, et l’existence en Israël de 150 000 juifs d’origine kurde. Kendal Nezan estime qu’« au lieu de s'aligner au nom d'intérêts à court terme sur les positions antikurdes de l'Iran et de la Turquie, qui ne sont pas des modèles de démocratie et de tolérance, les démocraties occidentales devraient privilégier les impératifs de justice et de stabilité en accompagnant leurs alliés kurdes dans leur longue marche vers leur liberté.
Un Kurdistan indépendant pourrait jouer le rôle d'Etat tampon entre les mondes chiite, turc et sunnite, constituer un rempart contre les menées djihadistes et contribuer à la stabilité régionale. » Si l’éditorial du Monde se fait l’écho des réserves quant l’opportunité politique de la consultation organisée par Massoud Barzani – « nombreux sont ceux qui soupçonnent le président d'organiser ce vote pour se sortir de la crise que connaissent les institutions locales kurdes » – il insiste en revanche, lui aussi, sur la contribution des Kurdes à la guerre contre Daech, dont les combattants « ont perdu 2000 hommes, tenant 1 200 km de front face à l'EI. Ils ont accueilli des centaines de milliers de réfugiés – arabes chrétiens et musulmans. Le KRG (Gouvernement autonome du Kurdistan d'Irak) est un des rares endroits de liberté religieuse au Moyen-Orient ». Et de conclure : « Ce scrutin aura un sens s'il permet aux 8 millions de Kurdes irakiens, non pas de décréter une indépendance qui les affaiblirait aujourd'hui, mais d'être en position de force pour obtenir de Bagdad un fédéralisme beaucoup plus poussé. »
Et qu’en pensent les électeurs appelés à se prononcer aujourd’hui ?
Courrier International se fait l’écho d’un site d’information kurde, basé à Erbil, l’épicentre de la revendication d’autonomie et capitale de la région autonome du Kurdistan. « De même qu’il n’y aura jamais de bon moment pour proclamer son indépendance dans une région chaotique, on ne saurait accuser les Kurdes d’être la cause des troubles et de l’instabilité alors que l’Irak et l’ensemble de la région n’ont jamais connu autre chose – estime Bashdar Ismaeel. » Qui cite le président de la région du Kurdistan, Massoud Barzani selon lequel le report de l’indépendance aboutirait à une aggravation de l’instabilité. “Nous avons montré que nous étions des facteurs de stabilité, a-t-il déclaré. Ce que nous faisons, par ce référendum, c’est empêcher davantage de chaos.” « Même si le résultat s’annonce sans surprise – souligne Tim Arango dans The New York Times –, le référendum organisé par le Kurdistan irakien représente un moment historique dans la lutte pour l’indépendance que les Kurdes mènent depuis des générations. » Et l’événement a un formidable écho dans l’ensemble de cette population répartie sur plusieurs pays (Turquie, Irak, Iran et Syrie). Mais à la faveur de leur avancée face à l’EI, les combattants kurdes ont investi des zones contestées, peuplées de minorités – arabes, turkmènes, yézidis – souvent réduites au silence. C’est le cas de Kirkouk, aux grosses ressources pétrolières, que Bagdad ne veut pas lâcher et qui constitue même une ligne rouge pour le gouvernement irakien. Tous n’y partagent pas l’enthousiasme général. C’est pareil à Souleymaniya, l’autre grande ville, rivale d’Erbil, et carrefour culturel. Pour Le Figaro, Thierry Oberlé y a mené l’enquête et rencontré Youssef Mohammed, haut responsable du Gorran, les dissidents réformistes et anticorruption devenus la deuxième force politique du pays aux élections de 2013, « La valeur de ce référendum est affaiblie par son absence de légitimité au Kurdistan, en Irak et à l'international, affirme-t-il. Ce n'est que par le dialogue que nous parviendrons à une solution avec Bagdad. Nous avons, à la faveur de la guerre contre Daech, pris le contrôle des territoires disputés avec l'Irak et nous risquons de perdre ce bénéfice historique si nous optons pour l'isolement. »
Par Jacques Munier
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