Les 70 ans de la « maison » Israël

David Grossman, mars 2018
David Grossman, mars 2018 ©AFP - U. Andersen
David Grossman, mars 2018 ©AFP - U. Andersen
David Grossman, mars 2018 ©AFP - U. Andersen
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Soixante-dix ans après sa création, Israël est peut-être une forteresse mais pas encore une maison pour le peuple juif, déplore l’écrivain David Grossman.

Israël célèbre ses 70 ans. Courrier international relaie un éditorial du quotidien Ha’Aretz qui se réjouit de « l’évolution du pays en “puissance militaire à l’économie stable dont la population est dix fois plus importante qu’à sa création”, tout en invitant ses lecteurs à l’introspection, rappelant que les réussites de l’État hébreu en termes de technologie ou d’agriculture ne peuvent “effacer le péché de l’occupation”. L’éditorial conclut d’ailleurs qu’Israël “ne pourra célébrer sa véritable indépendance qu’une fois que son voisin, l’État palestinien, pourra célébrer la sienne aussi”. 

« Qu’est-ce qu’une maison? »

David Grossman a prononcé un discours lors de la Cérémonie du souvenir, au Forum des familles endeuillées israéliennes et palestiniennes. Libération le publie aujourd’hui dans son intégralité. L’écrivain, qui a perdu son fils lors du conflit israélo-libanais de 2006, évoque son deuil dans des termes poignants, en concluant combien « il est difficile et épuisant de se battre sans cesse contre la pesanteur de la perte ». Mais chaque fois qu’il se sent happé par la colère et la haine, il dit éprouver le sentiment de perdre le contact vivant avec son fils. « Quelque chose devient soudain opaque là-bas »… S’adressant aux familles palestiniennes présentes, David Grossman ajoute que contrairement à la haine, 

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Le deuil n’est pas ce qui isole, il est aussi ce qui relie et renforce. Et voilà que d’anciens ennemis – israéliens et palestiniens – peuvent s’unir dans leur deuil et même grâce à lui.

Célébrant « la sensation d’un destin commun », l’écrivain poursuit avec cette question : « Qu’est-ce qu’une maison? » Un endroit « dont les murs – les frontières – sont définis et approuvés ; dont les rapports avec les voisins sont établis ; un endroit qui dégage un sentiment d’avenir ». Or, estime-t-il, 

Au bout de soixante-dix ans, nous autres Israéliens – et peu importent les mots dégoulinant de miel patriotique qui seront prononcés dans les prochains jours – nous n’y sommes toujours pas. À la maison. Israël a été fondé pour que le peuple juif, qui ne s’est jamais senti à la maison dans le monde, ait enfin droit à une maison. Et voilà qu’au bout de soixante-dix ans, l’Israël fort est peut-être une forteresse mais pas encore une maison. 

Car « si les Palestiniens n’ont pas de maison, les Israéliens, non plus, n’auront pas de maison ». Malgré le sentiment, éprouvé par sa génération, que dans cet « endroit fragile qui se souvient bien de la peur existentielle et du puissant espoir que ça y est, pour de vrai, nous sommes enfin arrivés à la maison », David Grossman dénonce dans un réquisitoire : 

Quand Israël occupe et soumet un autre peuple durant cinquante et un ans et crée une réalité d’apartheid dans les Territoires occupés,  il est bien moins une maison. Quand les snipers israéliens tuent des dizaines de manifestants palestiniens dont la plupart sont des civils, Israël est moins une maison. Quand le ministre de la Défense, Lieberman, décide d’empêcher des Palestiniens amis de la paix de venir à une réunion comme celle-ci, Israël est moins une maison. 

L’écrivain fait ici allusion à l’opposition opiniâtre du ministre à la tenue de la cérémonie conjointe du Yom HaZikaron (Jour du Souvenir) au parc HaYarkon de Tel Aviv. The Times of Israël évoque le préambule des deux animateurs de la cérémonie – un Israélien et un Palestinien – qui ont salué « la décision de la Cour suprême de justice d’ordonner à Liberman d’accorder des permis d’entrée à 90 Palestiniens de Cisjordanie pour assister aux cérémonies » tout en déplorant que beaucoup de Palestiniens n’aient « pas pu venir parce que la permission d’entrer du ministère de la Défense a été accordée trop tard ». Faut-il rappeler qu’Avigdor Liberman, né en Moldavie soviétique, est le fondateur et dirigeant du parti nationaliste d’extrême-droite Israël Beytenou (« Israël notre maison ») ? Aux abords du parc HaYarkon, quelque 150 militants ont protesté contre la cérémonie en brûlant des drapeaux palestiniens, lançant des insultes aux participants et scandant « Mort aux Arabes ».

Les défis régionaux

« Israël fête ses 70 ans face aux défis régionaux et domestiques », titre L’Express. L’hebdomadaire évoque notamment la guerre en Syrie et la présence de l’allié iranien d’Assad à ses frontières. « Des dizaines de frappes dans ce pays sont attribuées à Israël, qui se garde de les confirmer ou démentir. Elles visent des positions syriennes et des convois d'armes au Hezbollah libanais, qui comme l'Iran et la Russie, aide militairement le régime Assad. »  Mais pour la première fois, Israël a admis en février avoir frappé des cibles iraniennes après l'intrusion d'un drone iranien dans son espace aérien et « les journaux israéliens ont publié mercredi des éléments spécifiques sur la présence en Syrie des Gardiens de la révolution, unité d'élite iranienne » : photos satellite de bases aériennes, cartes légendées et même noms de responsables militaires iraniens. Dans Le Monde, Alain Frachon évoque, en « Syrie, la guerre qui vient ». Ce n’est pas celle que font mine de redouter certains politiques français suite aux frappes limitées où Américains, Britanniques et Français ont pris soin de ne viser ni les Russes ni leurs protégés iraniens. « Mais ce qui se profile, de façon plus menaçante, c'est un affrontement entre Israël et l'Iran. »

Par Jacques Munier