

Ce samedi, à Bordeaux, dans la manifestation des salariés de l’usine Ford de Blanquefort, dont les emplois sont menacés, plusieurs délégations des sites européens du constructeur étaient présentes. Un signe de l’élargissement international des luttes sociales.
Alors que la genèse du mouvement ouvrier s’est d’emblée inscrite dans cette perspective internationale, la force des identités de métiers dépassant les frontières nationales, dès la fin du XIXe siècle le syndicalisme s’est finalement développé dans le périmètre des Etats-nations. Plusieurs raisons à cela : des politiques publiques tournées vers l’intégration du monde ouvrier par l’éducation, la naissance du droit social ou le service militaire ; la guerre également, a « nationalisé » la classe ouvrière et les organisations qui la représentaient. La dernière livraison de la revue Mouvements (La Découverte) examine cette situation et les initiatives qui indiquent aujourd’hui une évolution à cet égard.
Les syndicats ont accepté le pacte fordiste qui garantissait la croissance de la production en échange d’une plus grande redistribution vers les salarié.es et de la création de droits sociaux. Les coordinateurs du dossier, C. Achin, V. Bourdeau, S. Cottin-Marx, E. Saunders, K. Yon
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, résument . L’activité syndicale transnationale « semblait par contraste permettre peu de victoires concrètes », alors que dans le contexte de la guerre froide, les organisations internationales « étaient ramenées au statut de pions », instrumentalisées et « dominées par les syndicats étatsuniens d’un côté et le mouvement communiste de l’autre ». C’est ce qui explique que « les campagnes transnationales sont restées rares, alors que le capitalisme entrait dans une nouvelle phase de globalisation » et que le marché mondial du travail doublait ses effectifs, offrant dans les pays émergents « des marges de profit accru et une main d’œuvre docile », permettant « de contourner ou affaiblir les régimes légaux de protection sociale et de droit du travail » au prix de la destruction des secteurs industriels du Nord historiquement syndiqués. La revue étudie les initiatives qui organisent une résistance au pouvoir des multinationales, comme la création d’une Confédération syndicale internationale sur le modèle de la Confédération européenne des syndicats, la transmission de répertoires d’action ou la mobilisation des syndicats, des ONG et citoyens des pays développés sur la question de la « responsabilité sociale » des consommateurs à l’égard des conditions de travail dans les pays émergents, pour faire pression sur les entreprises donneuses d’ordre.
Le contexte d'incertitude
Mais la difficulté de la réponse syndicale à opposer au pouvoir des multinationales est illustrée au niveau local par une enquête de sociologie du travail due à Cédric Lomba et publiée aux éditions du Croquant sous le titre La restructuration permanente de la condition ouvrière. De Cockerill à ArcelorMittal. Elle est à bien des égards exceptionnelle. D’abord parce qu’elle porte sur vingt années d’observation, dans la région de Liège en Belgique, d’un secteur industriel phare de la production de masse, la sidérurgie, devenue le symbole en Europe comme aux Etats-Unis, du déclin de la grande industrie et de l’échec du syndicalisme ouvrier qui n’a pu l’enrayer malgré des mobilisations collectives de grande ampleur dans les années 1980, alors que la production mondiale d’acier n’a cessé de progresser. D’une manière générale les enquêtes de ce type se limitent aux fermetures d’usines et aux drames sociaux qu’elles engendrent. Ici, c’est la succession des plans de restructuration qui est étudiée au long cours, avec ses conséquences sur les collectifs ouvriers en contexte d’incertitudes répétées, la « routinisation » de l’action syndicale dans des entreprises où le taux de syndicalisation se maintient à plus de 95%. Grèves, manifestations, contact avec des élus locaux ou nationaux, avec la presse à chaque nouveau plan… C’est ainsi que s’est développé « un savoir-faire accumulé des mobilisations ouvrières ». Mais là aussi, difficile de passer la rampe du local alors même que, de Cockerill à ArcelorMittal le groupe s’est largement internationalisé au fil des fusions-acquisitions.
Les mobilisations communes sur plusieurs sites européens sont restées rares et n’inaugurent pas de véritable renouveau du syndicalisme européen.
Le groupe de dialogue social mis en place par ArcelorMittal en 2009 avec des délégués de chaque pays d’implantation a été dissous lors des annonces de fermeture de sites en Europe (Cockerill, Florange etc.) sans susciter de réactions, « tant les dissensions entre syndicats européens étaient grandes ». C’est pourtant là que résident les conditions d’une relance de l’action syndicale. Dans la revue Mouvements, le syndicaliste américain Nick Allen évoque l’action, au Bangladesh, des syndicats du textile qui ont porté secours aux réfugiés Rohingya, non seulement pour les aider, mais aussi pour s’assurer que ce nouveau flux de travailleurs potentiels ait accès à leur représentation pour défendre leurs droits. Et il ajoute
L’enjeu essentiel pour constituer de nouvelles forces syndicales est de parvenir à construire des coalitions de travailleurs migrants avec les non migrants.
Par Jacques Munier
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