Avec la réforme du droit du travail, va-t-on vers un cinquième tour syndical ?
C’est la formule utilisée par Michel Noblecourt dans Le Monde. Une nouvelle série d'entretiens avec les organisations syndicales et patronales doit porter cette semaine sur l'articulation entre la loi et les niveaux de négociation – branches et entreprises. « Si nombre de points sont encore obscurs, comme l'éventuelle suprématie de l'accord d'entreprise sur le contrat de travail, le gouvernement n'a pas réitéré l'erreur de la loi El Khomri qui avait fait l'impasse sur les branches professionnelles », estime le spécialiste des affaires sociales du quotidien, même si « l'objectif reste d'accorder la primauté aux accords d'entreprise ». À la branche seraient réservés des domaines comme le salaire minimum ou l’égalité hommes-femmes et elle « pourrait même conserver le verrou introduit par une loi de 2004, inappliquée, qui lui permet d'interdire à une entreprise de conclure des " accords dérogatoires " sur certains sujets. » D’une manière générale, les syndicats estiment qu’il y a des « marges de manœuvre », comme l’affirme Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de FO, tout en rappelant ses « lignes rouges, fondées sur la liberté de négociation, la liberté syndicale et le respect des principes républicains ».
La concertation doit se poursuivre durant tout l’été mais il faudra bien que le gouvernement dévoile ses cartes
Dans une tribune de l’hebdomadaire Le un, Dominique Méda, Marie-Laure Morin et Emmanuel Dockès rappellent le postulat qui guide l’ensemble de la réforme, « celui qui a inspiré les travaux de l’OCDE depuis les années 1980 et qui consiste à considérer que les rigidités à l’œuvre sur le marché du travail font obstacle à l’allocation naturelle des emplois – la fameuse destruction créatrice de Schumpeter – en empêchant que ceux-ci soient supprimés suffisamment vite en cas de besoin. » L’OCDE avait même établi « un indicateur de la rigidité de la législation protectrice de l’emploi censé comparer les performances des pays en cette matière et les inciter à faire mieux, conformément au benchmarking désormais érigé en méthode de gouvernement : il faudrait copier sur les voisins qui font (ou semblent faire) mieux, c’est-à-dire faciliter à la fois les embauches en contrat à durée déterminée (CDD) et les licenciements ». Le paradoxe du postulat : « pour relancer l’emploi, il faut faciliter sa destruction ». Or, selon les signataires, les travaux susceptibles d’étayer cette thèse sont rares. « La dernière étude réalisée sur 111 pays par le département de la recherche de l’Organisation internationale du travail montre même le contraire : la déréglementation du contrat de travail entraîne une augmentation du taux de chômage et une diminution du taux d’emploi… » Mais comme il arrive souvent en économie, c’est la psychologie qui entre ici en ligne de compte, en l’occurrence celle des patrons, qui auraient peur d’embaucher par crainte des conditions de licenciement. Leur redonner « confiance » passerait donc par une fragilisation accrue des salariés, afin qu’ils n’aient « plus à craindre les décisions des juges » et que le droit soit « à la fois strictement encadré et à leur main, forgé dans leurs entreprises. Ces idées font l’objet de revendications patronales constantes depuis la fin des années 1970. » Faut-il rappeler que le droit du travail et les conventions collectives ont pour objet de rééquilibrer tant soit peu la relation asymétrique qui existe entre l’employeur et ses salariés ? Et que la dérégulation constante depuis des décennies ne fait qu’aggraver cette dissymétrie. Une enquête menée par le Centre d’études de l’emploi sur le CNE, le contrat nouvelles embauches de Dominique de Villepin qui permettait aux entreprises de moins de 20 salariés de licencier sans justifier d’aucun motif, a montré que les promesses de sécurité censées compenser ce surcroît de flexibilité (une prime de rupture et un accompagnement renforcé de Pôle emploi) n’avaient jamais été efficaces. « En revanche, les relations employeur-salariés s’étaient considérablement durcies, l’employeur disposant d’un pouvoir augmenté. » De même, plafonner les indemnités dues en cas de licenciement abusif, c’est permettre de licencier sans motif à un coût prévisible et abordable. Et que dire du projet de fusion des institutions représentatives du personnel dans l’entreprise : délégués du personnel, CHSCT – comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail – et comité d'entreprise, ou du recours au référendum dans le dos des syndicats, au regard de l’intention affichée du gouvernement de favoriser le dialogue social ?
Aujourd’hui, les frontières du travail se déplacent, débordant largement celles du travail salarié
Ce qui ne simplifie pas la tâche des négociateurs du nouveau code. La revue de sciences humaines Tracés y consacre sa dernière livraison. À un moment de remise en cause du travail salarié et de sa capacité à intégrer, de permanence du chômage et de marchandisation de l’activité, les coordinateurs de ce N° examinent les nouvelles formes qui aspirent à la qualification de travail dans les domaines du soin, de la solidarité, du plaisir, de la création ou de l’engagement.
Par Jacques Munier
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