Malaise dans la police

Rassemblement nocturne devant Notre Dame, 21/10/16
Rassemblement nocturne devant Notre Dame, 21/10/16 ©Maxppp - Nicolas Kovarik
Rassemblement nocturne devant Notre Dame, 21/10/16 ©Maxppp - Nicolas Kovarik
Rassemblement nocturne devant Notre Dame, 21/10/16 ©Maxppp - Nicolas Kovarik
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La colère exprimée par les policiers est révélatrice d’un profond malaise.

Et ce malaise est forcément partagé dans une démocratie. Dénoncer les tentatives d’instrumentalisation politique ne dispense pas de faire sereinement le point sur les revendications et les mots d’ordre. Dans Le Monde, le sociologue René Lévy revient sur les motifs invoqués : la hiérarchie, la justice pénale, une violence accrue et même la représentativité des syndicats. Il estime que « c'est l'incapacité à remettre en cause l'organisation actuelle de la police en France et la manière de faire la police » qui explique « la recherche d'un bouc émissaire ». Les policiers souhaitent se recentrer sur ce qu’ils considèrent leur « cœur de mission ». Mais celui-ci ne se résume pas à la chasse aux délinquants. « Ce n'est pas par hasard que les brigades anticriminalité (BAC) sont perçues comme l'élite de la profession et la réception des plaintes des citoyens comme un placard. L'échec de la police de proximité s'explique notamment par la résistance des policiers eux-mêmes, qui n'y voyaient que du social, pas de la police » rappelle le chercheur au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. « Or, une grande partie de ces missions montrait les policiers sous un jour non répressif et contribuait à améliorer leur image dans la population. » Les contrôles d’identité, notoirement discriminatoires, sont devenus une spécificité française, et dans les quartiers populaires, « une technique de harcèlement puisque les policiers contrôlent des gens dont ils connaissent l'identité ». Il s’agit souvent de justifier une palpation et une fouille « dont le caractère humiliant et récurrent engendre un sentiment de persécution. C'est pour cette raison que dans les fractions de la population qui ont le plus de contacts avec la police – les jeunes, les minorités visibles – la confiance est moindre et la légitimité de l'institution, remise en cause. On entre ainsi dans une spirale de la confrontation » conclut René Lévy. D’ailleurs les poursuites pour outrage et rébellion ont été multipliées par cinq depuis les années 1990, ce qui selon lui « procède principalement d'un durcissement délibéré de la réaction policière aux incidents ».(*)

La question s’est également posée en matière de maintien de l'ordre, notamment lors des manifestations contre la loi travail.

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On l’a vu alors, la stratégie a pris un tour beaucoup plus offensif avec l'usage croissant d'armes dites « à létalité réduite » comme les lanceurs de balles de défense ou les grenades de désencerclement. La dernière livraison de la revue Vacarme propose un dossier « Violences policières, résistances minoritaires » conçu dans la foulée du printemps dernier. S’il faut bien admettre que les forces de l’ordre ont été mises à rude épreuve depuis un an et demi, leurs méthodes d’intervention sont apparues à cette occasion hasardeuses : « petites unités laissées à elles-mêmes, ordres manifestement délivrés en vue d’accroître la tension parmi les manifestants ou de laisser dégradations et destructions se multiplier, usage disproportionné de la force ». Fabien Jobard, chercheur au CNRS et coauteur d’une Sociologie de la police, analyse également les conséquences d’une « militarisation de la police urbaine », avec l’encasernement des unités dédiées au maintien de l’ordre, qui les éloigne du « terrain local » et les livre « aux ordres d’une hiérarchie centrale ». Il a observé les effets délétères de la technique de la nasse, mise en œuvre à Paris et consistant à maintenir en rétention à ciel ouvert, sur la place publique, des manifestants dont les forces de l’ordre sont censées en principe assurer la sécurité. Un tel arraisonnement de l’espace public ne peut qu’engendrer, ou en tout cas stimuler, des logiques de « guérilla urbaine ». Et que dire des « 26h30 de folie », l’effarant témoignage d’Éric Marty, un militant non-violent, arrêté aux abords de la nasse géante autour du bassin de l’Arsenal, lors de la manif en rond du 23 juin ? Brutalement interpellé pour la détection, dans son sac à dos, de lunettes de piscine destinées à protéger ses yeux des gaz lacrymogènes, il finira en garde à vue, finalement déferré pour « avoir résisté avec violences à M. Untel, dépositaire de l’autorité publique », devant un substitut du procureur qui lui déclare sans ambages qu’il se fiche de sa version des faits… « Deux mois et demi après les faits, le Tribunal a conclu à la nullité de la procédure. » Après « combien de temps, d’énergie, d’argent public gaspillés » ?

Retour sur l’histoire : la revue Crime, Histoire & Sociétés évoque la police sous la Révolution

Vincent Denis rappelle que, contrairement à leurs prédécesseurs les commissaires de police sont élus par les citoyens et choisis parmi eux, l’un des objectifs du législateur étant de construire une police proche des gens et de confier les pouvoirs de police aux nouvelles municipalités. La nature élective du mandat pouvait nuire à leur autorité, devant un personnage important. Autre exemple de citoyen à l’occasion récalcitrant : les prostituées qui n’hésitaient pas à exprimer leur mépris en exposant leur postérieur pour indiquer où elles se mettaient le procès-verbal..

Par Jacques Munier

(*) « L'idée selon laquelle les atteintes aux policiers ne sont pas suffisamment réprimées est donc fantasmée ?

Les atteintes et violences aux personnes dépositaires de l'autorité publique sont massivement réprimées. Les atteintes corporelles graves, qui sont plus rares, sont passibles de peines très lourdes : dans l'affaire de Grigny, les auteurs sont passibles d'une peine de vingt à trente ans d'emprisonnement. Ces événements sont rares, à l'échelle des effectifs concernés ; selon l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales, on comptait, en 2015, 5 674 blessures infligées à des policiers (dont 430 avec arme). La tendance est stable. Les décès consécutifs aux agressions sont très rares : trois à quatre policiers par an depuis 2010, contre vingt-cinq en moyenne dans les années 1980. Dans ces conditions, on ne peut guère escompter qu'une nouvelle aggravation des peines en accroisse l'effet dissuasif. »

Propos recueillis par Julia Pascal © Le Monde

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