Alors que les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne doivent aborder ce soir la question des migrants, les pages Idées des quotidiens anticipent les débats
Dans La Croix , Bertrand Badie se demande, au delà de la controverse sémantique, où est la différence entre migrants et réfugiés. Laissant de côté ceux qui souhaitent faire le tri des religions « acceptables », il met en cause la distinction entre les réfugiés victimes de la guerre et les migrants économiques. « Est-il plus confortable et plus aimable de mourir de faim que de bombardement ? » Aujourd’hui, rappelle-t-il, « 90% de ceux qui fuient les guerres d’Afrique ou du Moyen-Orient se dirigent vers les pays du Sud, infiniment plus pauvres et fragiles que les nôtres… » Avec à l’horizon des migrations climatiques, « les questions sociales internationales » devraient devenir « l’enjeu dominant de la sécurité mondiale, plus que les missiles ou les ambitions politiques des uns et des autres ». « On pourrait dire qu’il y a une part de migrant économique chez tout réfugié politique – enchaîne dans Libération Michel Agier. Et à l’inverse, il y a une part de «réfugié» chez tous les migrants économiques: leur projet de vie social ou économique était impossible à réaliser dans leur pays natal, sinon, ils n’auraient pas eu à tout quitter. » L’anthropologue revient sur la « notion de «couloir de l’exil» qui désigne des lieux au statut d’exception, des aires d’exclusion et d’extraterritorialité. Les réfugiés sont interrompus dans leur voyage par les murs ou les législations, maintenus dans l’exil, mis à l’écart, coincés à la frontière. » Relevant que « les entre-deux intéressent de plus en plus les sciences sociales », il défend l’idée « qu’aujourd’hui, pour comprendre le monde, cet entre-deux est central. Car la marge englobe de plus en plus de gens ». Ce qu’il appelle l’encampement du monde , le fait que des millions de personnes vivent aujourd’hui dans des camps, lui apparaît aussi lié à la crise de l’Etat-Nation, devenu incapable de gérer la situation. Cette crise présente de nombreux aspects, notamment symboliques chez nous Français, les inventeurs du concept de Nation, ce qui peut expliquer mais ne justifie pas les réactions d’hostilité. Dans les mêmes pages le philosophe Jean-Luc Nancy estime que cette donnée cruciale nous apporte l’occasion « de voir dans les réfugiés des messagers non seulement de crise et de guerre, mais aussi et surtout des messagers de l’histoire, de notre histoire, de ce qui nous arrive et nous pousse nous-mêmes en migration silencieuse, active et vigilante ». Et dans Le Monde , Isabelle Rey-Lefebvre invite au « sursaut d'intelligence auquel nous pousse cette vague migratoire inédite » qui « incite aussi à une nouvelle vision de la gestion du territoire ». L’occasion par exemple de découvrir que 80 000 logements HLM sont vacants et du coup non seulement disponibles pour les réfugiés mais aussi pour des sans-abris ou des familles prioritaires. « Les alertes désespérées lancées, cet hiver, par le 115 et le SAMU social, tous deux débordés de demandes d'hébergement et ne pouvant en satisfaire qu'à peine une sur deux, et les appels au secours des gestionnaires des centres d'hébergement saturés, de la Fondation Abbé-Pierre, de Droit au logement, peuvent enfin trouver une réponse dans la dynamique actuelle », fait-elle observer. Car c'est dans les villes petites et moyennes que l'on trouve un parc HLM disponible « que les bailleurs sociaux envisagent de détruire, au rythme de 9 000 à 16 000 appartements par an, parce qu'il est devenu inutile. L'arrivée de nouvelles populations – souligne-t-elle – est peut-être une chance d'inverser la désertification dans ces secteurs, où même des emplois qualifiés ne sont plus pourvus. Parmi les réfugiés, il y a des médecins, des techniciens, des informaticiens, des ingénieurs, des étudiants, mais aussi des maçons et de potentiels créateurs d'entreprise dont pourraient ainsi profiter les quelque 300 villes recensées par l'Insee comme étant en décroissance démographique. »
Jacques Munier
Michel Agier Anthropologie de la ville (PUF)
« Au moment où la ville se défait et disparaît dans de vastes conurbations sans borne, le regard anthropologique s’avère plus que jamais nécessaire pour retrouver, sans préjugé ni modèle a priori , les genèses et les processus qui recréent l’espace partagé de la ville. L’anthropologue Michel Agier défend et décrit une approche situationnelle et dynamique prolongeant les trois traditions d’enquête urbaine de l’école de Chicago, de l’école de Manchester et de l’anthropologie française du contemporain. L’ethnographie urbaine et réflexive permet de repenser la ville à partir des citadins et des logiques sociales, politiques et culturelles qui la font naître et se transformer. La question du faire-ville est ainsi au centre d’une réflexion qui se fonde sur des enquêtes menées dans les quartiers périphériques, les « favelas » et les campements en Afrique noire, au Brésil, en Colombie et plus récemment en Europe. »
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