Navalny, « la vie devant soi »

Alexeï Navalny à Moscou, 20 juillet 2019
Alexeï Navalny à Moscou, 20 juillet 2019 ©AFP
Alexeï Navalny à Moscou, 20 juillet 2019 ©AFP
Alexeï Navalny à Moscou, 20 juillet 2019 ©AFP
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Des manifestations ont eu lieu samedi à Moscou, Saint-Pétersbourg et dans tout le pays pour exiger la libération de l’opposant Alexeï Navalny.

Dans Le Monde, Benoît Vitkine, le correspondant à Moscou, donne les chiffres de l’AFP : 20 000 personnes dans la capitale et autant à Saint-Pétersbourg. À Moscou, l’agence Reuters estimait leur nombre à 40 000 et l’ONG indépendante spécialisée dans le comptage des manifestants - Le Compteur blanc - entre 18 000 et 35 000. Des écarts qui s’expliquent « par la forme chaotique qu’a pris la manifestation. La foule compacte de la place Pouchkine, coincée entre les cordons des forces de sécurité, a rapidement débordé dans les rues adjacentes. » Les chiffres de la police russe indiquent 4 000 manifestants et l’on peut dès lors se demander la raison d’un tel déploiement de force pour si peu de monde... Benoît Vitkine signale une nouveauté : « les incessants bruits de klaxons qui ont accompagné la manifestation en signe de soutien. D’ordinaire, les rassemblements de l’opposition se déroulent dans une relative indifférence des passants ou des automobilistes. » Une mobilisation qui, sans être énorme, est importante si l’on songe aux moyens déployés pour décourager les manifestants : arrestations préventives, « censure sur les réseaux sociaux, menaces de renvoyer les étudiants participants, journées de cours obligatoires dans les écoles, avertissements aux parents, visites de la police à de simples citoyens… » Samedi, plus de 2 500 arrestations ont été effectuées par la police à travers le pays, une cinquantaine de journalistes ont été arrêtés ou blessés. La femme d’Alexeï Navalny a été détenue plusieurs heures. Les heurts ont été violents, certains manifestants n’hésitant pas à affronter les forces de l’ordre pour récupérer l’un des leurs.

Les télévisions fédérales, qui s’étaient gardées d’annoncer les manifestations, ont montré ces images pour accréditer l’idée d’un mouvement violent et destiné à déstabiliser la Russie selon un « scénario biélorusse ».

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Une nouvelle manifestation est prévue le 30 janvier. Les proches d’Alexeï Navalny, condamnés pour avoir appelé à la mobilisation, seront toujours en prison. Il est peu probable que cela suffise à libérer l’opposant mais, souligne le philosophe Kirill Martynov dans la Novaïa Gazeta, « ce 23 janvier était important pour une autre raison : les Moscovites et les habitants des régions ont montré qu’ils avaient des intérêts et des demandes communes : la suprématie de la loi, la sécurité personnelle, la fin de la corruption. » Et le Moscow Times, relayé par Courrier international, évoquait des motivations allant au-delà du cas Navalny : Vladimir, 15 ans, parle de la pauvreté et Arina, 20 ans, étudiante à l’université de Moscou, a expliqué : « Nous ne sommes pas venus pour Alexeï Navalny, nous sommes venus parce que nous vivons dans un régime où une personne peut être emprisonnée sans raison. » Lucien Jacques, le correspondant à Moscou de Libération, rappelle que « depuis les grands rassemblements de l’hiver 2011-2012, chaque mouvement de contestation se termine par de lourdes condamnations sans que le gouvernement ne recule ». Cela dit, en 2013, les grands rassemblements en faveur de Navalny devant le Kremlin avaient permis d’obtenir la suspension de sa peine de cinq ans de prison.

Poutine, le début de la fin ?

Reste que malgré les dénégations et la brutalité du pouvoir, un face-à-face se met en place alors que les mois à venir s’annoncent tendus, avec des élections législatives en septembre 2021. Dans la revue Esprit, Marie Mendras souligne qu’en septembre 2013 Alexeï Navalny, alors sous contrôle judiciaire, s’était présenté aux municipales à Moscou et avait obtenu 27% des suffrages selon les résultats officiels, 30 à 33% selon les estimations des observateurs. Il avait alors 37 ans et ce défi lui avait donné « une formidable renommée ». Depuis lors, il vit sous pression, constamment harcelé, perquisitionné, emprisonné et finalement empoisonné. « Son frère Oleg a purgé trois ans et demi de prison, pris en otage à la place de son frère. » Un prix « lourd à payer mais la nouvelle opposition démocratique a enfin un visage et une base populaire », estime la spécialiste de la Russie, qui relève la jeunesse des partisans de son mouvement politique pour « le vote intelligent », une stratégie électorale consistant à donner sa voix à n’importe quel candidat pourvu qu’il ne soit pas affilié au système Poutine. Il y a aussi sa Fondation pour la lutte contre la corruption qui lui vaut de nombreux soutiens. « Navalny parle au futur », résume Marie Mendras, « ce qui le distingue des hommes du Kremlin et des vieux routards de la politique qui rabâchent les frustrations d’une puissance passée ».

Par Jacques Munier