Noël au balcon

Redécouvrir la montagne
Redécouvrir la montagne ©Getty
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Pas de remontées mécaniques pour ces vacances de Noël à cause de la crise sanitaire, les ventes de raquettes à neige explosent. C’est l’occasion de découvrir la montagne d’une autre manière.

Randonnée nordique, trail hivernal, balades en raquettes... « Au fur et à mesure que l’atmosphère hivernale sera altérée par le changement climatique, on peut s’attendre à ce que l’attractivité esthétique, symbolique et récréative des paysages enneigés prenne de l’importance » estime Philippe Bourdeau dans le dernier numéro de la revue L’Alpe, consacré à la neige et à la glace. Le professeur à l’Institut d’urbanisme et de géographie alpine de l’université de Grenoble juge que le modèle de développement mis en œuvre dans les Alpes depuis plus de soixante ans doit évoluer. Il évoque les enjeux du maintien de l’emploi en montagne mais aussi la question des ressources et de l’environnement. 

Début et fin de la neige

Pour s’affranchir des aléas climatiques, la production artificielle de neige s’est développée depuis les années 1990, allant jusqu’à son transport en camion ou en hélicoptère. Or, elle est coûteuse en eau et en énergie, et laisse présager des conflits sur les usages. Car la surface à enneiger ne cesse d’augmenter : 15% des domaines skiables français en 2007, 30% en 2018, 70 à 80% visés pour 2030. Un fonctionnement dont les coûts croissants contribuent à la montée en gamme des sports d’hiver, éloignant toujours plus l’utopie du « ski pour tous » qui a légitimé l’aménagement des stations. « Seulement 8% des Français partent au ski au moins une fois tous les deux ans », un effet de niche accentué par le fait que seuls « 2 à 3% des skieurs consomment près de 80% des journées-skieurs ». Du coup, les stations se tournent de plus en plus vers la riche clientèle internationale. Philippe Bourdeau parle d’un « verrou sociotechnique » : une situation dans laquelle une technologie est devenue si normative qu’il semble impossible d’en changer. Et il plaide pour « le patrimoine et les traditions ». En citant le géographe Éric Dardelle. 

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Habiter ce n’est pas se loger, c’est un mode de connaissance du monde et un type de relation.

La neige en montagne, c’est aussi un mode de vie. Et pour les sociétés agropastorales, d’abord une nécessité, comme le rappelle Alexis Metzger dans cette livraison poudreuse de la revue L’Alpe. La couche de neige, avec son pouvoir isolant, protège les cultures des effets du gel. « Le seigle peut ainsi rester douze mois en terre dans les hautes vallées, jusque vers 2 000 mètres d’altitude. » Le géographe à l’université de Lausanne évoque les très nombreux dictons qui en attestent : « Neige en janvier, blé au grenier », « Année de neige, année de fruits ». Pour les paysans, c’est une pause bienvenue, le repli sur la demeure, les liens familiaux et villageois qui se resserrent autour du poêle lors des veillées... L’artisanat - du bois notamment - la transmission des savoirs, le temps qui s’écoule en paix : « Mon pays c’est l’hiver » résume l’institutrice Aimée Bigallet en voyant ses gens prendre le soleil en milieu de journée.

Le chamois en émoi

Avec ses sabots multifonctions, notamment pourvus d’une membrane qui assure la portance sur la neige, mais aussi de ventouses qui collent aux parois rocheuses, le chamois est l’animal emblématique des Alpes et de la montagne européenne. Gracieux et aérien, son anatomie est détaillée dans le dernier numéro de la revue Salamandre, ainsi que son histoire et son caractère farouche. Ses cuisses puissantes, avec des articulations formant des angles fermés à l’arrière et ouverts à l’avant lui confèrent « une formidable capacité de détente comparable à un ressort ». Capable de bondir sans élan jusqu’à 2 mètres de hauteur, ou à 5 mètres au-dessus du vide, il peut atteindre une vitesse de 50 km/h sur un sol accidenté. Champion de la varappe, il sait évoluer sur des pentes à 80°de verticalité, même sur des roches instables ou des schistes feuilletés, toujours grâce à ses fameux sabots. Il est issu d’une espèce de gazelle asiatique disparue il y a longtemps. Décimé par la chasse, il a fait retour et l’on en dénombre aujourd’hui environ 500 000 dans les Alpes et les massifs avoisinants, dont 80 000 en France et 180 000 en Autriche. Erik Lapied, auteur de documentaires, a suivi la saison des amours de Rupicapra, la chèvre des rochers. Il nous livre un prodigieux portfolio accompagné d’un journal de bord. Après deux heures d’attente à 2 200 m un chamois « s’exhibe avec arrogance sur les promontoires de la falaise ». Un autre mâle solitaire s’affiche. C’est le début de l’affrontement, une poursuite vertigineuse: « aucun obstacle, rocher, neige, torrent ne les arrête dans cette descente, ils sont déjà 300 m plus bas ». 

Une chute de 15 m et un atterrissage dans la poudreuse clôt la scène.

Par Jacques Munier