

Dans un entretien au Journal du dimanche, le président de la République annonce vouloir « poser des jalons » sur l’organisation de l’islam de France.
Le 4 janvier, lors de ses vœux aux « autorités religieuses », le président de la République avait consacré une partie de son discours au chantier de « l’islam de France », rappelle Anne-Bénédicte Hoffner sur le site de La Croix. Il avait alors évoqué « un travail sur la structuration de l’islam en France » condition pour que les Français musulmans ne tombent pas dans « les rets des divisions » de leur propre religion « et de la crise qu’elle est en train de vivre sur le plan international ». Plusieurs pistes sont d’ores et déjà ouvertes : une formation à la laïcité pour tous les aumôniers – musulmans ou relevant d’autres cultes – à l’hôpital, en prison ou dans l’armée. « L’enseignement du fait religieux à l’école, encore timide, devrait être renforcé. Quant à la Fondation de l’islam de France, mise sur pied par Bernard Cazeneuve et confiée à Jean-Pierre Chevènement, elle a lancé différentes actions, depuis sa création il y a un an, pour améliorer la formation profane des imams, soutenir la recherche en islamologie ou les projets éducatifs et citoyens des Scouts musulmans de France… » Un second pilier était également prévu : une association cultuelle, loi de 1905, chargée de collecter des ressources au sein de la communauté musulmane pour financer des projets cultuels, et d’abord salarier et former théologiquement les acteurs du culte musulman. « Or elle n’a jamais vu le jour – souligne Hakim El Karoui dans Islam, une religion française (Gallimard). Parce qu’elle a été confiée par le ministère de l’intérieur aux dirigeants du Conseil français du culte musulman qui se sont empressés de proposer une gouvernance impossible. Les représentants des pays étrangers se chamaillent sans cesse, sauf quand il s’agit de défendre le statu quo de l’organisation globale. » À ses yeux, une seule solution : « rompre avec la tutelle des pays étrangers », en mettant en place « une contribution sur le halal, marché de 5 milliards d’euros ». Avec cet argent, cette association cultuelle serait chargée de financer le culte, mais aussi, à terme, « d’engager un travail idéologique », une « véritable bataille culturelle, sur Internet, les réseaux sociaux et sur le terrain, afin de réduire l’emprise des discours islamistes, salafistes et djihadistes sur les musulmans de France ». Dans Le Figaro, Mohamed Louizi estime lui aussi qu’ « il faut réduire l’influence des pays étrangers sur l’islam dit de France, notamment en interdisant clairement, dans les faits, tout financement étranger. » Mais pour l’auteur de Pourquoi j’ai quitté les Frères musulmans (Michalon) ça « ne suffira pas pour lutter efficacement contre l’islamisme. Car désormais notre pays se trouve face à un wahhabisme de France et à un salafisme de France. Il n’est plus nécessaire d’aller en Égypte, au Qatar ou en Arabie saoudite pour apprendre les normes théologiques et juridiques de l’islam politique. Il suffit de s’inscrire à l’IESH (Institut Européen des Sciences Humaines) à Saint-Léger-de-Fougeret (Nièvre), géré par les Frères musulmans, pour devenir un imam ou un aumônier frérosalafiste qui professe son idéologie tous les vendredis non seulement dans certaines mosquées, mais aussi au sein d’hôpitaux, de prisons et de régiments de l’armée française ». Mohamed Louizi évoque également « l’idéologie de rupture et de conquête » diffusée selon lui dans « l’enseignement privé dit musulman qu’instrumentalisent les frérosalafistes pour préparer leur relève, parfois en signant des contrats d’association avec l’État ? C’est le cas du lycée Averroès de Lille-Sud, du lycée Ibn-Khaldoun de Marseille ou du lycée Al-Kindi de la métropole de Lyon. » Dans la dernière livraison de la revue Etudes, Emmanuel Pisani estime qu’on « peut distinguer l’islamisme, comme idéologie politique à l’origine des attentats, et l’islam comme religion », mais qu’on ne peut pourtant pas les séparer complètement. Il convient donc de déconstruire l’idéologie islamiste et de la rapporter aux textes fondateurs. » Notamment en les relisant à la lumière de l’histoire. De manière à en dégager le message sprituel. Pour le théologien, membre du conseil d’orientation de la Fondation de l’islam de France, « Si l’islam se caractérise par sa dimension d’orthopraxie – il s’agit de faire, d’accomplir, de mettre en œuvre l’attestation de foi, la prière, l’impôt religieux, le jeûne, le pèlerinage -, les théoriciens de l’islamisme surenchérissent la question de la praxis. » C’est ainsi qu’il définit « les cinq piliers de l’islamisme » : « l’homogénéisation de l’ordre social autour de la définition de l’identité musulmane », de manière à « pouvoir distinguer le musulman du non musulman au sein de la société civile en stigmatisant le kafir, le non musulman mais aussi le mécréant ou l’hypocrite qui se dit musulman mais qui ne répond pas à ce qu’on attend de lui ». D’où le deuxième principe : « le contrôle de la société musulmane ». Le recours à la violence apparaît du coup non seulement légitime mais nécessaire : « Le djihad doit montrer la force de l’islam, sa vérité, sa puissance de conviction sur ses membres. » Enfin, la conception théocratique du pouvoir et l’affirmation de la souveraineté absolue de Dieu sur le monde profane implique « le refus de tout modèle démocratique ». Et « si les Frères musulmans acceptent la démocratie, leur acceptation est théorisée comme transitoire : elle est un moyen pacifique pour accéder au pouvoir ». Ce que le fondateur de la confrérie, Hasan al-Bana, désignait lui-même comme « une concession provisoire, non une conversion »…
Par Jacques Munier
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