

Partout en Europe et dans le monde, on observe une montée des populismes.
La récente victoire du parti de Viktor Orban en Hongrie le confirme une fois de plus, même si les conditions de la campagne n’étaient pas équitables : le populisme de droite ne cesse de gagner du terrain sur le sol européen. Dans Mediapart, Amélie Poinssot souligne que le chef du gouvernement hongrois est désormais en position de force pour « parachever son plan, lui qui ne cesse, depuis trois ans, de braquer son peuple contre l’accueil de réfugiés à grand renfort de raccourcis racistes et de fake news. « Des forces apparaissent comme le monde n'en a pas vu depuis longtemps – je cite. En Afrique, il y aura dix fois plus de jeunes qu'en Europe. Si l'Europe ne fait rien, ils vont enfoncer la porte et nous écraser », disait-il encore le 15 mars, dans un discours de campagne, ajoutant : « Bruxelles veut diluer la population de l'Europe et la remplacer, pour se débarrasser de notre culture, de notre mode de vie. » La journaliste relève une conséquence de cette percée du populisme de droite : la « radicalisation » de la droite « autrefois modérée », par un effet de convergence qu’on peut qualifier d’électoraliste et qui conforte la tendance.
Démocratie : la fin d'un cycle
Pour Alexandre Devecchio, dans le Figarovox,« Ce qui apparaissait encore il y a quelques années comme de simples accidents électoraux doit désormais être regardé comme un phénomène plus profond. Pour beaucoup d'observateurs, nous ne sommes pas les témoins d'un repli temporaire lié à une crise passagère, mais nous assistons à la fin d'un cycle ». Le journaliste cite le politologue bulgare Ivan Krastev, européen et libéral convaincu, selon lui il s’agirait d’une « insurrection d'ampleur mondiale contre l'ordre libéral progressiste post-1989, qui se caractérisait par l'ouverture générale des frontières aux hommes, aux capitaux, aux biens et aux idées – écrit-il dans un livre collectif intitulé L'Âge de la régression (Premier Parallèle). Cette insurrection adopte la forme d'une révolte de la démocratie contre le libéralisme. » Le temps est loin – ajoute le journaliste du Figaro – où les Allemands dansaient sur les ruines du mur de Berlin et où les sociétés occidentales envisageaient le processus de globalisation comme un gage d'ouverture et de pacification universelle.
Les "présidents à vie"
Dans ce monde désormais hyperconnecté mais désintégré, la demande d’ordre, d’ancrage identitaire et de permanence a produit un autre phénomène, analysé en détail dans l’hebdomadaire Le un : les présidents à vie. « Nous assistons en direct – écrit Laurent Greilsamer – à l’émergence de régimes qui affirment sauver leur population des vices consubstantiels à la démocratie. Qu’il s’agisse de la Russie, de la Chine ou de la Turquie – pour se limiter à ces trois pays –, chacun creuse à sa manière les contours d’une ère postdémocratique. Aux libertés publiques qui constituent depuis plus de deux siècles le socle de nos sociétés, les nouveaux présidents à vie substituent une garantie de sécurité. » Et ce, au moyen d’un discours revanchard qui galvanise les populations et leur fait oublier l’ampleur de la corruption, l’absence de contre-pouvoirs politiques et judiciaires, comme de la liberté d’association ou de la presse. Le cas emblématique est évidemment celui du président chinois, qui vient de faire adopter la réforme constitutionnelle le maintenant à vie au sommet du pouvoir. Valérie Niquet analyse les ressorts profonds de cette décision spectaculaire : « la survie d’un régime confronté à des défis internes et externes majeurs ». Selon la sinologue « la période d’opportunité qui s’ouvrait à la Chine est en train de se refermer ». Le contexte favorable aux « trente premières années des réformes amorcées par Deng Xiaoping » - dû à la globalisation « dont la République populaire a bénéficié depuis 1979 » - a fait place à une situation beaucoup plus difficile « face à des partenaires inquiets devant l’émergence d’une puissance chinoise qui refuse de s’intégrer au système international sur la base des valeurs libérales et démocratiques ». Dans ce cadre, c’est le choix du « retour en arrière » et de l’immobilisme qui s’est imposé :
ne pas toucher à ce qui pourrait accélérer ou précipiter un changement de régime
et abandonner le « mythe de l’ouverture progressive ».
Le "nouveau souffle" des Etats
Un autre symptôme de ce mouvement général de repli, c’est le retour en force des États, même s’ils n’avaient pas vraiment quitté la scène mondiale. La revue Politique étrangère consacre sa dernière livraison à cette évolution contemporaine. Au cours des années 1990, l’air du temps était au « dépassement des États. La mondialisation devait se traduire par leur marginalisation », la dissolution de leur souveraineté dans l’ordre libéral de l’économie. « Deux décennies de reagano-thatchérisme dénonçaient l’efficacité de l’État-providence. La fin du parrainage bipolaire montrait à nu l’inefficacité ou le pourrissement de nombre d’États postcoloniaux. » Mais à travers « la quête des identités », le désir d’État a fait retour :
affirmation des souverainetés post-soviétiques, demandes d’États ethniques dans les Balkans, espoirs de redécoupage au Moyen-Orient, tentations sécessionnistes en Europe de l’Ouest…
La crise de l’UE en est aussi l’expression, et que dire des Etats-Unis qui ont porté à leur tête un chef d’entreprise qui ne voit sur la scène mondiale qu’une « concurrence d’ambitions » nationales ?
Par Jacques Munier
Pour aller plus loin :
Jan-Werner Müller : Qu’est-ce que le populisme ? Folio essais
Timothy Snyder : De la tyrannie. Vingt leçons du XXe siècle. Galimard
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