Selon une étude Kantar Public pour Le Monde et Franceinfo, 42 % des sondés estiment que le RN ne représente plus un danger pour la démocratie. Mais le parti et sa candidate sont toujours jugés peu capables de gouverner.
24 % seulement des Français estiment qu’elle ferait "une bonne présidente de la République" – un chiffre qui était tombé à 16 % au lendemain de l’élection de 2017. Franck Johannès souligne dans Le Monde "sa capacité à rassembler au-delà de son camp, 42 % en 2017, retombés à 30 % l’année suivante, et qui remontent, pour atteindre 37 % aujourd’hui". Globalement, cette capacité reste relativement limitée comme on l’a vu aux municipales, où le parti en est réduit aux conquêtes qu’il peut faire sur son seul nom, et a des difficultés à trouver des alliés.
La part des sympathisants des Républicains qui souhaitent une alliance avec le RN (33 %) a chuté de 15 points en un an, alors qu’ils envisagent facilement une alliance avec LRM.
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La "dédiabolisation" va son train, mais elle est aussi le résultat d’une forme de "co-production" avec les partis de droite qui ont adopté les slogans du RN par opportunisme électoral. Dans la revue Esprit, Anne-Lorraine Bujon s’entretient avec Jan-Werner Müller de son dernier livre La Peur ou la liberté. Quelle politique face au populisme ? (Premier Parallèle). L’auteur, qui enseigne la théorie politique et l’histoire des idées à l’université de Princeton, rappelle que le business model des populistes de droite repose sur une guerre culturelle et sur l’enjeu de l’identité. Dans cette polarisation, il estime que le danger pour la démocratie vient de "la réduction de toute la diversité des voix, des sensibilités et des préoccupations à un seul grand clivage entre ceux qui appartiennent au peuple vrai et les autres, qui menacent la communauté authentique du peuple vrai". Et il souligne qu’en Allemagne les opinions populistes sont en recul du fait que d’autres préoccupations ont pris le dessus, pas seulement à cause de la pandémie. Par ailleurs, si la CSU "a essayé de faire comme Sarkozy en courant derrière les populistes (...) la manœuvre n’a pas porté ses fruits, car les citoyens ont préféré voter pour l’original". Ce qui montre que l’avancée du populisme "dépend aussi des choix que font les autres acteurs du champ politique". Dans le même temps, la stratégie des partis d’extrême-droite a évolué vers un discours plus modéré - la dédiabolisation - et "cette ambivalence ne peut pas fonctionner à long terme auprès des électeurs".
Politique de la résignation
La dernière livraison de la revue Sociologie (PUF) publie les résultats d’une enquête menée par Guillaume Gourgues, Alice Mazeaud, Héloïse Nez, Jessica Sainty et Julien Talpin sur les attentes des Français en matière de démocratie. Le constat d’une rupture entre les citoyens et les élites au pouvoir, comme celui d’une crise de la représentation politique apparaît partagé, quelles que soient les opinions ou les niveaux socio-économiques. Monopolisation du pouvoir et absence de renouvellement, défaut de représentativité sociodémographique, cumul des mandats qui contribue à la professionnalisation des carrières : les participants mettent en cause le caractère représentatif de politiques, élus par ailleurs en contexte de défiance et de faible participation électorale. Nombreux sont ceux qui dénoncent les guerres de tranchée sur le terrain de la communication politique, en faveur d’une "conception plus consensuelle de la politique".
Les désaccords publics entre les partis politiques entraveraient la promotion de l’intérêt général, qui devrait être au-dessus des rivalités partisanes.
Même les militants ne ménagent pas les critiques à l’égard de leurs propres partis. "In fine, l’élection serait une illusion de pouvoir : les citoyens ne sont pas vraiment libres de choisir et leurs choix n’ont de toute façon pas d’effet." Les médias en prennent pour leur grade. La politique-spectacle et les connivences entre éditorialistes, communicants et politiques ne font que renforcer l’idée d’une manipulation. L’imaginaire démocratique semble réduit aux acquêts, dans "un profond sentiment de résignation et d’impuissance". Et pourtant, les alternatives ne font pas rêver. Même les aménagements - démocratie participative ou délibérative, tirage au sort, scrutin proportionnel, renforcement de la représentativité du parlement en instaurant des quotas socioprofessionnels ou démographiques - sont loin de faire l’unanimité. Le mouvement des Gilets jaunes a montré, par l’action collective d’une fraction résignée de la population, que la politique est l’affaire de tous. La démocratie aussi.
Par Jacques Munier
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