Prendre aux mots

Une réclame de 1935
Une réclame de 1935 ©Getty
Une réclame de 1935 ©Getty
Une réclame de 1935 ©Getty
Publicité

Le Petit Larousse paraît dans quelques jours, mais on parle déjà des mots qui font leur entrée dans cette nouvelle édition.

Et c’est une première : cette année 170 mots sont intronisés contre 150 habituellement, la pandémie n’y est pas pour rien. Pour Le Figaro,  Mohammed Aïssaoui et Alice Develey ont mené l’enquête dans les coulisses du comité de sélection. 40 personnes, soit 20 experts en interne et 20 conseillers externes dans toutes sortes de domaines font le tri dans une "banque" d’un millier de mots issus des médias et des livres - les essais ou les romans. Leurs choix sont guidés par les relevés d’occurrences de chacun d’eux. Habituellement, il faut trois années pour admettre qu’un mot s’est installé, et même dix ans pour le Dictionnaire de l’Académie française. Mais avec la crise sanitaire la création lexicale et l’usage se sont emballés, et d’anciens vocables remis en circulation dans un sens renouvelé. Le linguiste Bernard Cerquiglini, qui œuvre au comité de sélection, s’en étonne.

Dans toute période de crise, la langue bouge. On l’a vu durant la Révolution française ou la Seconde Guerre mondiale, par exemple. Mais depuis mars 2020, c’est encore plus spectaculaire.

Publicité

Asymptomatique, cas contact, ont été retenus, alors que cyberapéro ou skypapéro devront attendre... À noter qu’il y a eu peu d’anglicismes, alors que les Italiens disent lockdown et pas confinement. Lequel était très rare et appartenait au départ à la langue juridique : on confinait les bagnards ; de là il est passé au nucléaire : le confinement d'un réacteur. Et par scissiparité, il a donné "déconfinement" puis "reconfinement".

La riposte sanitaire doit beaucoup au génie linguistique francophone. Le combat contre la pandémie fut en premier lieu du ressort de la langue. Bernard Cerquiglini

De la francophonie nous viennent - par contrecoup - des mots festifs : bien-cuit évoque au Québec un "discours humoristique prononcé à l’intention d’un invité d’honneur" mêlant compliments et moqueries pour amuser la galerie. Rien à voir avec la cuisine. En Côte d’Ivoire on aime s’enjailler - faire la fête (de l’anglais to enjoy), un terme qui se répand chez les jeunes Français, indique la notice. Et nos régions ne sont pas en reste : godaille, du néerlandais "bonne bière", signifie en Champagne et dans les Ardennes une fête joyeuse et arrosée.

Parlez-vous le Macron ?

Macron "joue avec les mots comme nul autre président ne l'avait fait avant lui", affirme le linguiste Damon Mayaffre. Ce spécialiste de l’analyse du discours assistée par ordinateur a étudié cent prises de parole d'Emmanuel Macron et les a comparées à mille discours prononcés par les présidents de la Ve République. Béatrice Parrino a lu son livre Macron ou le mystère du verbe (Éditions de l'Aube) pour Le Point. Elle relève qu’avec le président, les Français ont découvert ou redécouvert les mots coruscant, dystopie, disruption, ou encore parrhèsia - passez-moi l'expression. Et elle pointe le "discours patchwork".

Macron est à la fois jacobin et girondin, vertical et horizontal, démocrate et autoritaire, libéral pour l'essentiel et un instant keynésien, lors de la crise du Covid-19, technicien et idéologue, énarque et poète, gaulliste et hollandais. Damon Mayaffre

L’intelligence artificielle révèle l’hyperprésident coiffant Sarkozy au poteau. "Si de Gaulle avait privilégié le vocabulaire régalien, négligeant l'économie à l'inverse de Hollande, Macron intervient, lui, dans les affaires domestiques, étrangères, éthiques, sociétales, économiques, techniques." Rompant avec le vocabulaire de la rigueur, son discours se veut positif, dynamique, modernisateur et s'inspire de Saint-Simon et de Schumpeter. Deux mots reviennent à l’envi : innovation et numérique.

C'est cette foi saint-simonienne dans la science qui a dominé la gestion de la crise du coronavirus au printemps 2020 : les épidémiologistes, virologues, professeurs en médecine… participaient à la politique publique.

Donner un pois pour une fève

Et pour faire bonne mesure après Le Petit Larousse, voici Le Robert qui publie 150 drôles d’expressions pour cultiver son jardin. D’Aller aux asperges à Quelle truffe ! en passant par Se faire carotter, Découvrir le pot aux roses, Ramener sa fraise ou Ratisser large, Nathalie Gendrot décortique les formules imagées de la langue verte. En voici deux, au hasard : Mi-figue, mi-raisin se dit de l’ambiguïté et de la perplexité qu’elle engendre. "Les exportateurs de raisin de Corinthe mêlaient parfois des figues à leur précieux chargement." Donner un pois pour une fève c’est faire un petit cadeau pour en obtenir davantage. Et compter les fèves c’est "poireauter, attendre sans raison".

Par Jacques Munier

À réécouter : Les mots endormis
Le Journal des idées
5 min

L'équipe