Une étude publiée le 23 janvier par l’INSEE est passée inaperçue dans le contexte social mouvementé. Elle analyse les « effets d’une variation de transferts socio-fiscaux sur le niveau de vie et les inégalités ».
En chiffrant le coût cumulé de trois prestations sociales – RSA, allocations familiales et APL (l’aide personnalisée au logement) – cette étude montre que la somme nécessaire pour améliorer légèrement la vie des plus pauvres pouvait être largement couverte par les rentrées fiscales provenant de l’ISF avant sa suppression. Selon l’INSEE, une hausse de 5% du montant forfaitaire du RSA augmenterait le niveau de vie moyen des 10% les plus modestes de 2,8%. Or le RSA n’a augmenté que de 1,6% en 2019, ce qui correspond à l’inflation et les APL ont été amputées de 5 euros en 2018. La question se pose donc, elle n’est malheureusement pas nouvelle : les riches s’enrichissent-ils sur le dos des pauvres ? C’est le sujet de l’hebdomadaire Le 1 aujourd’hui : Les riches sont-ils trop riches ? Comme le rappelle l’édito de Julien Bisson, « l’explosion des revenus des plus riches n’est pas le simple produit du hasard ou d’une croissance économique vertueuse. Elle est la conséquence d’une politique fiscale décidée, favorable aux plus fortunés, et qui a drastiquement réduit l’imposition du capital au cours des quarante dernières années ». Un constat confirmé par l’économiste Gabriel Zucman * :
Depuis les années 1980, on assiste à un déclin général de la progressivité du système fiscal. Aux États-Unis, les classes moyennes et populaires payent environ 28 % de leur revenu en impôts, avec un tout petit peu de progressivité pour les plus pauvres, mais avec une exception forte pour les milliardaires qui, depuis la réforme fiscale de Trump, ont un taux d’imposition global d’environ 23%.
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En somme, un impôt qui devient dégressif pour les plus riches ! Le professeur à l’université de Berkeley estime que pour s’attaquer au cœur de l’injustice fiscale, il faut développer des propositions ambitieuses, comme celles d’Elizabeth Warren ou Bernie Sanders, les candidats à l’investiture démocrate, « avec un impôt sur la fortune qui ferait contribuer les milliardaires à hauteur de leurs revenus : puisque leur fortune croît en moyenne de 8 % chaque année, Sanders propose un taux d’imposition sur la fortune de 8 % au-delà de 10 milliards de dollars ». Il rappelle que nous avons des traités de libre-échange mais aucune forme de coordination fiscale, et que ces traités pourraient inclure un volet fiscal. Et il conclut sur les conséquences de cette situation :
Depuis Reagan, les États-Unis ont fait l’expérimentation des avantages donnés aux « premiers de cordée ». Pour quels résultats ? Une stagnation du revenu moyen des classes populaires, un déclin récent de l’espérance de vie, une explosion du coût de la santé, du logement et de l’éducation, et, politiquement, une dérive ploutocratique qui a mené à l’élection de Trump.
Le mensuel Alternatives économiques publie un dossier sur les jeunes. « Les 18-29 ans sont la catégorie d’âge pour laquelle la progression de la pauvreté a été la plus forte entre 2004 et 2015 », constate Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités. Et en 2017, ils avaient un niveau de vie inférieur de 8% au niveau de vie médian français, contre seulement 2% en 2002. En cause notamment le coût du logement : « entre 1984 et 2018, le profit des bailleurs privés a été multiplié par trois ». Et cette situation n’est pas propre à la France. Dans un dossier du journal britannique The Guardian qui analyse les données disponibles pour le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, le Canada et les Etats-Unis on peut lire que « c’est probablement la première fois depuis la révolution industrielle – hors périodes de guerre ou de catastrophes naturelles – que les revenus des jeunes adultes sont tombés si bas comparés au reste de la société ». Cette paupérisation croissante, les enseignants la constatent à l’université, comme le montre l’enquête de Soazig Le Nevé dans Le Monde. A Lille, l’une des plus grosses facs de France accueille 38 % de boursiers sur critères sociaux (un chiffre qui correspond à la moyenne nationale), mais « ce taux frise les 50 % sur le campus Pont-de-Bois. Outre les aides du Crous, cette année, 403 étudiants sont éligibles à une aide spéciale de l’université, contre 222 en 2018, soit 81 % de plus. »
Dans un ouvrage publié chez Payot sous le titre Où va l’argent des pauvres ? Denis Colombi évoque le « business de la pauvreté » et montre à travers de nombreux exemples – logement, consommation, crédits bancaires – comment « les pauvres paient plus cher que les autres ». Il rappelle l’indémodable définition de l’exploitation par Karl Marx : le travail seul étant créateur de valeur, la rémunération de la propriété du capital ne peut se faire que par une « extorsion de la plus-value » sur le dos des travailleurs. Lesquels sont rémunérés juste assez pour pouvoir « reproduire leur force de travail ».
Par Jacques Munier
* Auteur de La Richesse cachée des nations : enquête sur les paradis fiscaux (Seuil) et Le Triomphe de l’injustice : richesse, évasion fiscale et démocratie, cosigné avec Emmanuel Saez, à paraître le 13 février au Seuil
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