Le Parlement a adopté ce mardi la réforme de la justice pénale des mineurs, par un vote au Sénat. Ça n’a pas mis fin au débat que son examen avait suscité à l’Assemblée.
Le nouveau « Code de la justice pénale des mineurs » entrera donc en vigueur en septembre, remplaçant l’ordonnance de 1945, elle-même réécrite une quarantaine de fois, mais qui avait su conserver l’aura d’une justice « idéale » où la dimension éducative était privilégiée. Arthur Vuattoux, qui vient de publier Adolescences sous contrôle – Genre, race, classe et âge au tribunal pour enfants (Presses de Sciences Po) en résume l’esprit sur le site AOC.
La justice des mineurs renvoie l’image d’un Etat social sachant se montrer bienveillant avec sa jeunesse, tout en n’omettant pas de la rééduquer en cas de déviance afin de faire primer la cohésion de la société. C’est l’idée d’une justice plus clémente que celle des adultes, fondée sur une étude de la « personnalité » des jeunes, et non sur la seule répression des actes commis.
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Le sociologue rappelle que lors de la présentation du projet de loi, le Garde des Sceaux avait insisté sur la latitude laissée au juge des enfants « pour ajuster le contenu de la mesure », tentant ainsi de concilier l’esprit de 1945 et le rapprochement avec la justice des adultes. Mais le jugement rapide sur la culpabilité, censé précéder l’intervention éducative, est en contradiction avec l’ancienne justice des mineurs. Laquelle n’était pas exempte de critiques. Arthur Vuattoux, qui a enquêté sur le quotidien des tribunaux pour enfants, la juge « paternaliste », au sens où elle reproduit « des discriminations systémiques dans les prises en charge des jeunes, validant des représentations communes des rôles sociaux féminins et masculins, stigmatisant les jeunesses de classes populaires et racisées ».
Détenus étrangers
Dedans-Dehors, la revue de l’Observatoire international des prisons (OIP) publie un dossier sur les détenus étrangers, sur-représentés et sous-protégés. « Pris en étau aux confins de deux horizons juridiques bien distincts », le droit pénitentiaire et celui des étrangers - avec sa « spirale répressive dès le pas de la prison franchi », résume Julien Fischmeister. Ce qui se traduit notamment par la quasi impossibilité d’exercer leur droit au recours contre les mesures d’éloignement notifiées en détention, ou par « le refus fréquent des préfets d’examiner les demandes de titre de séjour formulées par les personnes détenues », avec « pour conséquence de réduire à néant leurs perspectives d’aménagement de peine ». Sous cette double tutelle de la Justice et de l’Intérieur, le manche est clairement du côté du ministère de l’Intérieur. La durée de présence en France, perçue comme un marqueur d’intégration, peut être invoquée à l’appui d’une demande de titre de séjour. Mais le temps de la détention est déduit de la durée de résidence, contrairement à ce que préconise la Cour de justice de l’Union européenne, dès lors que « les liens d’intégration unissant l’intéressé à l’État membre d’accueil n’ont pas été rompus ». Exclus du droit commun, les étrangers sont sur-représentés derrière les barreaux : au 1er janvier 2020, ils étaient 23% de la population carcérale, alors qu’ils ne comptent que pour 7,4% de la population française. Un traitement discriminant les expose davantage à la détention provisoire ou aux audiences de comparution immédiate et réduit leurs chances d’un recours aux peines alternatives. Pour une même infraction, par exemple à la législation sur les substances illicites, les étrangers représentent 10,2% des condamnations mais plus de 25% des personnes détenues pour de tels faits.
Justice traditionnelle
CQFD, le mensuel de critique et d’expérimentations sociales, publie un dossier Justice où il est également question de discriminations. Marine Bobin y signe un article éclairant sur la justice traditionnelle navajo, aux États-Unis. L’anthropologue a mené l’enquête sur la pratique du peacemacking, qui ne concerne pas les crimes les plus graves, relevant toujours des tribunaux fédéraux. Mais avec l’accord des parties impliquées, cette justice communautaire est saisie, « dont la vocation n’est pas de punir mais de réparer », symboliquement, pécuniairement ou par des travaux d’intérêt général. Au cours de l’audience, le peacemaker se réfère à des enseignements traditionnels en lien avec le problème traité, voire à des épisodes du récit mythique originel. Une place importante est laissée aux émotions. Consommation ou vente d’alcool - proscrites dans la réserve - conflits familiaux ou de voisinage, violences faites aux femmes : le but de la procédure est de restaurer l’harmonie. L’importance du groupe, présent à l’audience, est primordiale. De ceux qui ne respectent pas le collectif, les Navajos ont l’habitude de dire : « Il agit comme s’il n’avait pas de proches ».
Par Jacques Munier
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