Sécurité et liberté

Signature de la loi du 30/10/17
Signature de la loi du 30/10/17  ©AFP - C. Ena
Signature de la loi du 30/10/17 ©AFP - C. Ena
Signature de la loi du 30/10/17 ©AFP - C. Ena
Publicité

Ce soir à minuit l’état d’urgence prend officiellement fin, c’est la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme qui prend le relais.

Et nombreux sont ceux qui dénoncent une restriction des libertés publiques et préviennent contre les risques d'une dérive sécuritaire. Dans le Figarovox, Arthur Berdah signale qu’on a relevé, lors de la signature « à l’américaine » de la nouvelle loi par le président, l’absence de la ministre de la Justice. « L'Histoire retiendra qu'une loi modifiant le Code de procédure pénale fut signée par le chef de l'État en présence que du ministre de l'Intérieur», a notamment posté Jean-Jacques Urvoas sur Twitter. « La garde des Sceaux s'excuse, il n'y avait plus de place à la table, c'est ballot », a-t-elle ironisé en réponse sur le réseau social. Plus sérieusement, Nicole Belloubet a assuré hier sur la chaîne parlementaire Public Sénat que « lorsqu'il y a besoin du juge, le juge a été introduit ». Dans L’Express, le ministre de l’Intérieur fait le bilan de l’état d’urgence : des milliers de perquisitions administratives au cours desquelles 625 armes ont été saisies, dont 78 de guerre, 752 personnes assignées à résidence et surtout 32 projets d’attentat déjoués… Gérard Collomb confirme par ailleurs les propos de la garde des Sceaux : les dénommées « visites domiciliaires » qui s’inspirent des perquisitions administratives « sont désormais encadrées par l’autorité judiciaire : il faut un avis favorable du procureur et une décision du juge des libertés pour les déclencher ». Sur le nombre des attentats déjoués, la Place Beauvau est à l’évidence mieux informée que l’Hôtel Matignon, comme le souligne Paul Cassia dans Mediapart, en citant la réponse évasive du premier ministre à Libération le 4 octobre : « Beaucoup de choses ont été déjouées »… Mais peut-être s’agissait-il d’une stratégie de communication, pour réserver la primeur de l’annonce au ministre de l’Intérieur, devenu le héraut de la protection des Français ? Le juriste précise que « Quatre des dispositifs de l’état d’urgence (fermetures de lieux de culte, périmètres dits « de protection » pour les grands événements publics, assignations à résidence, perquisitions administratives) sont insérés dans le droit commun de la police administrative des préfets ». Si bien que, selon lui, la sortie de l’état d’urgence temporaire s’apparente à une « entrée dans l’état d’urgence permanent ». Paul Cassia admet que « avant comme après le 1er novembre 2017, la France demeure un Etat de droit : les tribunaux administratifs et le juge pénal peuvent connaître de mesures individuelles de mise en œuvre de cette loi, et sanctionner l’illégalité d’une action administrative disproportionnée au regard de l’objectif de prévention de l’ordre public. Mais la qualité de cet Etat de droit se dégrade, année après année, du fait de l’empilement désordonné et frénétique de textes sécuritaires. » Car jusqu’à présent, « le principe dans le droit commun de la police administrative était celui de la prévalence des libertés individuelles sur les restrictions d’ordre public ». Seul le caractère exceptionnel de l’état d’urgence pouvait inverser ce principe. Aujourd’hui l’inversion semble en passe de devenir la norme, confer « le Conseil d’Etat, par exemple, lorsqu’il a admis que des personnes éventuellement susceptibles de manifester durant la COP 21 pouvaient être assignées à résidence ».

Le besoin de sécurité serait-il en train de se substituer au désir de liberté ?

Publicité

Et du coup au souci de la justice. L’hebdomadaire Le un est consacré à cette question, sous le titre éloquent Sécurité, égalité, fraternité… Le premier terme a oblitéré celui de liberté et recouvre partiellement le second. Michaël Foessel observe que ce besoin de sécurité reste « un idéal non questionné », comme une évidence du sens commun. Le philosophe relève tout de même que dans le modèle sécuritaire « il existe une figure de la liberté valorisée, même si c’est au détriment des autres. C’est la liberté d’entreprendre, la liberté de l’agent économique. » Et celle-ci prospère sur les ruines de l’État-providence, qui était jusqu’alors l’autre nom de la sécurité. Le Monde publie un cahier spécial sur les 719 jours d’état d’urgence, et sur le passage du droit d’exception au droit commun. Denis Salas y fait le lien entre « la faiblesse des réactions de l’opinion et des parlementaires aux mesures de l’état d’urgence » et la tradition française qui fait primer la loi sur le droit, donnant priorité à la loi, soit « aux pouvoirs législatif et exécutif » en reléguant « l’autorité judiciaire au second plan. C’est Rousseau qui l’a emporté sur Montesquieu, l’homme de la volonté générale, c’est-à-dire la loi, sur l’homme du droit et de l’équilibre des pouvoirs. » Le magistrat risque une comparaison avec les Etats-Unis du Patriot Act, après le 11 septembre 2001 et le rôle des tribunaux pour maintenir la justice et accorder les droits de la défense aux détenus de Guantanamo. De la même manière, conclut-il, ici en France et en Europe, « Avec l’aide des juges de la Cour européenne des droits de l’homme et ceux de la Cour de justice de l’Union européenne, des jurisprudences plus protectrices des libertés pourront émerger, malgré l’adhésion de l’opinion publique à ces mesures attentatoires aux libertés qu’elle juge nécessaires. »

Par Jacques Munier

L'équipe