Du point de vue de l’affluence dans les stades et des audiences télé, le Mondial féminin de football semble avoir trouvé son public.
Comme l’indique Clément Martel dans Le Monde, le pari des organisateurs de faire venir les familles au stade est gagné au-delà des attentes. Même chose pour les audiences télé. « Si les Françaises battent record sur record – et font s’agglutiner près de 10 millions de spectateurs à chaque match – d’autres rencontres cartonnent également ». Italie-Brésil ou Argentine-Angleterre ont dépassé le million de téléspectateurs. Et c’est pareil à l’étranger. Pourtant l’affichage de l’événement est quasiment inexistant. « Au point que des médias anglo-saxons s’en sont émus, étonnés de ne trouver dans le métro parisien que des affiches pour les rencontres des Bleus – qualifications à l’Euro 2020 – alors que le Mondial débutait. » À quand les chiffres d’audience atteints par la finale de la dernière Coupe du monde de football : plus d’un milliard de Terriens ?
Beau jeu
Ce n’est pas dans un souci de parité qu’il faut célébrer le foot au féminin. C’est parce qu’il incarne une forme de retour à l’essence même de ce sport.
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Dans le FigaroVox, David Brunat célèbre les vertus footballistiques et éthiques du « beau jeu » de l’équipe des Bleues. L’écrivain et conseiller en communication estime qu’elles dament le pion à leurs homologues masculins sur le plan « du fair-play et de la bienséance. Contestation des décisions d’arbitrage, prises de bec avec les adversaires et punchlines médiatiques graveleuses ou imbéciles, agents véreux à la manœuvre, affaires de mœurs à répétition, hooliganisme, banderoles racistes dans les gradins… » Dans tous ces domaines, le football pratiqué par les femmes confirme son avantage face au « foot de bourrin et de rapine » qui est trop souvent l’apanage des hommes – joueurs et spectateurs confondus.
Sport et science
S’il est vrai que la pratique féminine du sport de haut niveau tend à se développer, « les disciplines où la mixité est admise sont très rares et, dans les cas où elle est la norme, comme en danse sportive ou en patinage artistique, les couples de même sexe ne sont pas autorisés », observe Antoine Le Blanc, de l’université du Littoral-Côte-d’Opale. Lequel ajoute que l’homophobie reste très présente dans le milieu sportif. « En France, aucun athlète masculin de haut niveau en exercice n’a encore osé faire son coming-out, contrairement aux Etats-Unis. » La revue Carnets de science publie un dossier sur le sport. Philippe Testard-Vaillant souligne qu’aujourd’hui, « près des deux tiers des Français âgés de 15 ans et plus s’adonnent de manière soutenue à une activité physique ou sportive au moins une fois par semaine », alors qu’ils n’étaient que 30% dans les années 1960. La revue du CNRS rappelle l’engagement de la recherche dans le domaine sportif : « Qu’il s’agisse de sport bien-être ou de haut niveau (pour améliorer les performances des athlètes), des liens avec le développement durable, les questions de genre ou le regard porté sur le handicap, le but est d’embrasser le sport dans toutes ses dimensions » résume Vincent Nougier, directeur du Groupement de recherche sur le sport et l’activité physique tout récemment créé par le CNRS. Avec 1000 chercheurs dans 140 laboratoires impliquant également les universités, l’Inserm ou l’Inra, l’enjeu est de « fédérer l’ensemble des acteurs », et notamment les fédérations sportives et les industriels. « L’interdisciplinarité est capitale – souligne le chercheur – par exemple, si la biologie et la médecine recommandent d’avoir une activité physique régulière, la sociologie et la psychologie montrent que les Français décrochent en moyenne à 18 ans, et qu’on peut lutter contre cette tendance en aménageant l’espace urbain avec des pistes cyclables. »
Le sport est un excellent miroir de notre société, de son fonctionnement, de son idéologie, de ses valeurs, de ses choix en matière de politiques publiques, de ses faiblesses, de ses dérives…
Thierry Terret, délégué ministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 souligne également que « le sport moderne, qui a vu le jour dans les écoles de l’élite anglaise au milieu du XIXe siècle, quand les enseignants ont transformé les concours de jeu de ballon brutaux et chaotiques en compétitions organisées pour discipliner les jeunes élèves turbulents, occupe une place centrale dans notre société. »
Un ethnologue au stade
Pour Marc Augé, « la compétition sportive est un terrain anthropologique ». Dans un texte inédit que viennent de publier les éditions Rivages sous le titre Match retour, il revient sur la notion de revanche, commune au sport et à la politique. « Elle privilégie une représentation du passé et une vision de l’avenir qu’elle mythifie toutes deux. » Il est vrai que le sport est « une expérience intense du temps ». Depuis les calendriers serrés des compétitions jusqu’au temps des épreuves, qui peuvent se résumer à des séquences très brèves, « le sport repose sur une armature sociotemporelle ». C’est là que s’infiltre le désir, alpha et oméga de ce « culte totémique » moderne. L’anthropologue se réfère à ce que Freud nous dit sur l’illusion religieuse, où le sens ne s’ordonne qu’à la vérité du désir.
Par Jacques Munier
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