Syrie, neuf ans plus tard

Au nord d'Idlib, le 11 février 2020, l'une des plus grandes vagues de déplacement depuis neuf ans
Au nord d'Idlib, le 11 février 2020, l'une des plus grandes vagues de déplacement depuis neuf ans ©AFP
Au nord d'Idlib, le 11 février 2020, l'une des plus grandes vagues de déplacement depuis neuf ans ©AFP
Au nord d'Idlib, le 11 février 2020, l'une des plus grandes vagues de déplacement depuis neuf ans ©AFP
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La situation humanitaire s’aggrave en Syrie, à Idlib. « Il s’agit du plus grand déplacement de la pire guerre de notre génération », a déclaré le chef du Norwegian Refugee Council, Jan Egeland.

Idlib est le dernier bastion de la rébellion anti-Bachar Al-Assad où vivent 3,5 millions de personnes, pour une grande part des déplacés du conflit, rappelle Marie Jégo dans Le Monde, qui consacre plusieurs articles à la tragédie qui se déroule sous nos yeux, et quasiment à nos portes. La population se trouve prise « en étau entre 20 000 combattants rebelles, principalement djihadistes, épaulés par la Turquie, et les forces gouvernementales aidées par des bombardements russes qui n’épargnent ni les hôpitaux, ni les écoles, ni les marchés, selon une méthode déjà éprouvée par Vladimir Poutine en Tchétchénie » souligne l’éditorial du quotidien. Un déluge de bombes et d’obus qui a jeté 700 000 personnes sur les routes selon l’ONU. « La cadence de l’exode s’est accélérée ces deux dernières semaines, en raison de l’avancée des troupes loyalistes, qui ont récupéré le contrôle de l’autoroute M5, un axe stratégique, reliant Damas à Alep » précise Benjamin Barthe, qui ajoute que « L’hiver glacial qui s’est abattu sur la province d’Idlib, avec un thermomètre descendant jusqu’à – 11 °C, de la neige par endroits et de violentes bourrasques de vent, ajoute au calvaire des Syriens ».

D’après les décomptes de l’Organisation mondiale de la santé, 72 hôpitaux, cliniques et dispensaires ont dû suspendre leurs activités depuis décembre, soit après avoir été pris pour cibles, soit de peur de l’être.

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« Le régime détruit tout ce qui peut nous aider à continuer à vivre, s’insurge Nagib Bakour, un responsable des casques blancs, l’organisation de secouristes qui opèrent dans les secteurs tenus par la rébellion. Nous essayons autant que nous pouvons de soutenir la population, mais nous avons le sentiment que le monde entier nous a abandonnés. »

Un défi pour l'Europe

On peut craindre que la poursuite de l’offensive militaire ne précipite le déplacement forcé des populations vers la Turquie, qui héberge déjà 3,6 millions de réfugiés syriens, ce qui pourrait inciter Ankara à reprendre son chantage aux migrants vis-à-vis de l’Union européenne, et provoquer une dissémination des djihadistes. La menace devrait nous faire réagir, si ce n’est pour des raisons humanitaires, au moins dans le souci de notre sécurité. 

Michel Duclos, l’ancien ambassadeur de France en Syrie, évoque la ville de Maarat Al-Nouman, « qui vient de tomber entre les mains du régime – et dont il ne reste plus une pierre debout. Or ses habitants, s’ils s’étaient rebellés contre Assad, avaient aussi chassé les djihadistes » ce qui est le cas de nombreuses autres localités de cette région. 

En bombardant les civils et en les jetant sur les routes, on les rejette du côté des terroristes – alors qu’une stratégie de contre-insurrection intelligente aurait pu consister précisément à s’appuyer sur la population civile (et les groupes rebelles modérés) pour isoler les djihadistes, première étape avant de les réduire.

Le diplomate suggère donc aux Européens et aux Américains de proposer à la Russie et à la Turquie de « donner une chance à une stratégie de contre-insurrection ménageant la population civile ».

Au moment où l’on parle tant de renforcer la défense européenne, n’est-ce pas un projet que le président de la République pourrait défendre à la conférence de Munich sur la sécurité à la fin de cette semaine ?

Urbicide

Le monde arabe existe-t-il encore ? La question se pose alors que la tragédie syrienne met en présence Iraniens, Russes et Turcs contre la population arabe et kurde. Elle est aussi le titre d’un ouvrage collectif coédité par l’Institut du monde arabe et le Seuil. Les géographes Leïla Vignal et Loïc Rivault font le terrible bilan des destructions causées à la ville d’Alep. Là aussi les dégâts sont énormes et relèvent « pleinement de la stratégie de guerre du régime », notamment dans la vieille ville médiévale, classée patrimoine de l’humanité, dont le tissu urbain et populaire a été délibérément visé. Marchés alimentaires, mosquées, hôpitaux, écoles ont été systématiquement bombardés pour faire fuir les populations civiles, qui se retrouvent aujourd’hui à Idlib. De cette tactique de la terre brûlée témoignent aussi les projets de reconstruction qui révèlent une volonté de « transformation radicale du peuplement de la ville » entamée durant la guerre. Une loi de 2018 légalise l’expulsion des populations jugées indésirables et « organise le transfert du foncier de ces quartiers, au potentiel de valorisation immobilière important, vers les mains des milieux d’affaire proches du régime ». Pour les géographes, cette reconstruction « telle qu’elle est annoncée confirme et approfondit donc la stratégie de destruction de la ville à l’œuvre pendant la guerre. Elle peut de ce point de vue être définie comme un urbicide. »

Par Jacques Munier

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