

Les partenaires sociaux se sont quittés hier soir sans avoir finalisé l’accord sur le télétravail.
Les discussions doivent reprendre aujourd’hui. Mais patronat et syndicats avaient esquissé un rapprochement. « Tout va être dans l'art de la plume - souligne Leïla de Comarmond dans Les Echos - pour concilier le « ni prescriptif ni normatif » patronal et l'exigence syndicale de fixer un cadre dans un accord national interprofessionnel ».
Certains sujets mis en discussion sont particulièrement sensibles - précise-t-elle. Autant de points sur lesquels les syndicats attendent des évolutions. Il s'agit en particulier du renforcement de la protection du volontariat des salariés, de l'enjeu de la préservation du collectif de travail et de la réversibilité du télétravail.
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Le Monde avec l’AFP ajoutent que « le patronat ne propose plus un assouplissement de la législation sur les accidents du travail (actuellement imputables à l’employeur), ce qui était une « ligne rouge » pour toutes les organisations syndicales. « La présomption d’imputabilité (…)s’applique également en cas de télétravail », souligne, désormais, le document.
Bertrand Bissuel et Raphaëlle Besse Desmoulières évoquent « une négociation moins tendue mais toujours incertaine ». La CFDT a estimé que le texte présenté par les organisations d’employeurs contenait quelques « avancées », notamment sur le « double volontariat » (celui du salarié et celui du chef d’entreprise) pour instaurer l’activité à distance, ou encore sur la « réversibilité » – c’est-à-dire la possibilité d’organiser le retour du travailleur dans les locaux de sa société. Sur la réversibilité, qui permet à un salarié de mettre fin au télétravail, il n’y a pas de changement dans la formulation, alors que les syndicats souhaitent qu’elle précise que le salarié puisse revenir sur le même poste.
La durée du jour
Temps, rythmes et intensité du travail, ces questions se posent à nouveau à propos du télétravail, mais elles ont une longue histoire. Dans une enquête très documentée, parue à La Dispute sous le titre Les rythmes du labeur, Corine Maitte et Didier Terrier la retracent du XIVe au XIXe siècle en Europe occidentale. Et il apparaît que la préoccupation de la durée du temps de travail, partagée par les patrons et les employés pour des raisons diamétralement opposées, est bien antérieure à la Révolution industrielle. Les auteurs citent notamment le mémoire des propriétaires de vignes d’Auxerre, qui accusent en 1493 leurs employés « d’apeticer l’heure » en repartant chez eux à « l’heure de none », vers trois heures de l’après-midi, et non pas à « vêpres basses », vers huit heures du soir. À quoi répondent les intéressés devant le Parlement de Paris que bien qu’ils soient « povres gens » ils sont toutefois des humains et qu’on ne doit exiger d’eux « telle paine ou tel travail comme l’en ferait d’un bœuf ou d’un cheval ».
Dès le XIVe siècle, le temps de travail est l’objet de négociations, si ce n’est de conflits.
De nombreux historiens font valoir la différence entre le travail à la tâche - indifférent à la cadence de l’horloge - et le travail mesuré par le temps, qui serait à la fois plus contraignant, aliénant et lié à la modernité. Mais les deux ont coexisté pendant des siècles et le travail à la tâche n’échappait pas non plus à la « volonté de ne pas gaspiller le temps et d’accroître l’efficacité ». Le machinisme, contrairement à ce que déclaraient ses partisans, n’a pas rendu le travail moins fatiguant car il n’a fait qu’alourdir la contrainte temporelle. À l’ère industrielle l’utilisation massive de la chimie a accentué la pénibilité et aggravé les risques sanitaires. Et au tournant du XXe siècle, les revendications sur la durée du temps de travail s’appuient notamment sur l’idée que la dernière heure « n’est pas rentable et que la diminution des durées du labeur n’a qu’une incidence très limitée sur le niveau de production journalier ». Ce sont alors « de nouvelles formes d’intensification du travail » qui s’imposent, avec le taylorisme et son économie de gestes, de temps mesuré, de productivité, de salaire au rendement. Aujourd’hui, la flexibilité, instaurée au nom de la politique des « flux tendus » fragilise le travail, en l’émiettant. L’extension du télétravail pourrait aggraver cette tendance en le répandant dans la sphère privée. C’est pourquoi l’une des exigences syndicales concerne le droit à la déconnexion.
Par Jacques Munier
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