

Le 22 avril, Le Parisien publiait une tribune signée par 300 personnalités dénonçant la montée d'un "antisémitisme musulman". Le débat est ouvert.
Selon le texte rédigé par Philippe Val, ce « nouvel antisémitisme » provoquerait « une épuration ethnique à bas bruit » dans certains endroits d'Ile-de-France et les signataires demandent que « soient frappés d'obsolescence par les autorités théologiques musulmanes les versets du Coran appelant au meurtre et au châtiment des juifs, des chrétiens et des incroyants ». Ce dernier point, notamment, pose problème à de nombreux responsables musulmans, dont le recteur de la grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur. Pour Rachid Benzine plutôt que d’épurer le Coran, il est urgent « d’enseigner la lecture critique des textes » en particulier leur mise en perspective historique. L’islamologue rappelle dans La Croix :
Le propre des grands textes est de s’enrichir sans cesse de nouvelles lectures, selon les lieux et les époques auxquels on les lit.
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et que « frapper d’obsolescence » certains versets appelant à la violence « est typique de cette propension actuelle à épurer tous nos chefs-d’œuvre, y compris littéraires ou musicaux, à débaptiser les noms des rues, etc., au fond à vouloir faire table rase de ce qui, dans notre passé, ne correspond pas à nos valeurs modernes ». Le Monde publie un appel signé par trente imams « indignés », dont Tareq Oubrou, dénonçant l'antisémitisme et la radicalisation en France. Ce n’est pas à proprement parler une réponse à la tribune du Parisien, puisque le texte avait été préparé en amont, mais il vient à point nommé nourrir le débat. Exprimant leur « compassion pour tous nos concitoyens qui ont été touchés directement ou indirectement par le terrorisme et par les crimes antisémites qui ont frappé aveuglément notre pays », ils condamnent « la confiscation de leur religion par des criminels » et « reconnaissant être dépassés par ce phénomène, ils expriment le souhait de s'impliquer davantage dans le combat républicain ». Ces imams membres, pour certains, de la fédération Musulmans de France (ex-UOIF) et, pour d’autres, du Conseil théologique musulman de France, qui lui est lié, expriment leur « indignation » en voyant « l'islam tomber dans les mains d'une jeunesse ignorante, perturbée et désœuvrée (…) proie facile pour des idéologues qui exploitent son désarroi.
Désespérés, n'ayant pas trouvé de sens à la vie, ces théoriciens d'une géopolitique du chaos lui proposent un sens dévoyé du martyre : un suicide déguisé, comme délivrance de la souffrance existentielle. Un acte qui ne serait qu'une mort appliquée à des enjeux purement politico-économiques. Or théologiquement parlant, le martyr est celui qui subit injustement ou subitement la mort, et non celui qui la recherche et la provoque.
Et ils rappellent « la mise en garde du Prophète » selon laquelle « Le musulman qui porte atteinte à la vie d'une personne innocente vivant en paix avec les musulmans ne sentira jamais le parfum du Paradis », tout en rendant hommage au « vrai sacrifice », celui du « héros national, le colonel Arnaud Beltrame ».
L'antisémitisme musulman
Dans les mêmes pages Débats & analyses du quotidien Le Monde, Gunther Jikeli, sur la base de nombreuses études réalisées en France et en Europe, estime que « L'antisémitisme musulman est bien une réalité ». S’il est vrai que « l'antisémitisme reste répandu parmi l'électorat du Front national et dans l'extrême gauche anti-impérialiste » et que tous les musulmans ne sont pas antisémites, ces études « traduisent une évidence : l'antisémitisme parmi les musulmans se manifeste au-delà des islamistes radicaux ». Le chercheur au CNRS observe cependant que « le niveau d'antisémitisme s'accroît significativement avec le niveau de religiosité et/ou avec les interprétations autoritaires de l'islam ». Et que « les stéréotypes sur la richesse des juifs, les fantasmes complotistes ou la diabolisation d'Israël » ne sont pas spécifiquement liés à l’identité islamique car on les retrouve chez de nombreux non-musulmans.
Juifs et musulmans, le temps de la fraternité
Un livre passionnant sort opportunément aujourd’hui chez Belin : Juifs et musulmans en France. Le poids de la fraternité. Il retrace l’histoire sociale, politique et culturelle des rapports entre juifs et musulmans en France métropolitaine de la Grande Guerre à nos jours. Il est le fruit de dix années de recherches de l’historien américain Ethan B. Katz, spécialiste de l’Europe et de la méditerranée et montre dans le détail comment, à Paris, Marseille et quelques autres villes, juifs et musulmans « habitaient les mêmes quartiers, voire les mêmes immeubles, partageaient les mêmes traditions culinaires et musicales… fréquentaient les mêmes cafés et les mêmes épiceries et avaient parfois des rapports d’intimité entre voisins, entre amis, voire entre amants. » Une anecdote est révélatrice de ces interactions permanentes : en 1961, alors que la guerre d’Algérie touche à sa fin, de nombreux juifs émigrés débarquent en métropole et demandent assistance à un organisme chargé de venir en aide aux musulmans, le Service des affaires musulmanes, plutôt qu’aux services sociaux de la communauté juive de France. Une « décision qui montre bien – souligne l’historien – que de part et d’autre de la méditerranée, les vies de milliers de juifs et de musulmans étaient depuis longtemps entremêlées. »
Par Jacques Munier
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