Une pointe d’humour

Sofia Aram
Sofia Aram ©Maxppp - R. Perrin
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Les vacances de Noël approchent, un petit air de « je-ne-sais-quoi » flotte dans l’air et givre les esprits… C’est le moment de parler d’humour.

Mais l’exercice est aussi risqué qu’un tango sur le verglas ! « Je tiens pour impossible – disait déjà Cicéron – même pour le plus amusant des hommes, d’expliquer l’humour avec humour ». Voyons chez le philosophe Emmanuel Kant : « Le rire est un affect procédant de la manière dont la tension d’une attente est réduite à néant »… Désopilant, non ? Lacan, qui déclara lors d’un de ses séminaires « Je suis un clown, prenez exemple sur moi mais ne m’imitez pas », disait quelque chose d’approchant, en insistant sur le caractère inattendu de ce qui provoque le rire. Selon lui, le comique naît du « rapport de l’action au désir et de son échec à le rejoindre ». Le choc et le rire, l’humour et le désespoir : ces couples d’oppositions définissent bien le phénomène. Raymond Devos le traduisait à sa manière en prétendant que le premier rire a fusé lorsqu’un primitif est – littéralement et dans tous les sens – tombé sur le cul. Le rire est aussi un rite d’affiliation sociale, même sous son aspect négatif, lorsque l’ironie mordante ou le sarcasme ont pour effet d’exclure l’autre. « On rit mal des autres quand on ne sait pas d’abord rire de soi-même » disait Léautaud, qui pouvait avoir la dent dure. Rire c’est aussi montrer les dents, mais en signe d’apaisement. Il y a dans l’humour et le rire une dynamique paradoxale, un renversement de perspective, un retour à l’envoyeur. Il paraît que certaines histoires juives étaient au départ des blagues antisémites, récupérées et détournées en manière de « retournement du stigmate ». On a même pu faire preuve d’humour dans les camps et après-coup des blagues sont encore en circulation. « Il vaut mieux rire d’Auschwitz avec un juif que jouer au Scrabble avec Klaus Barbie » disait Pierre Desproges qui, à propos de son cancer, savait aussi manier l’autodérision : « Noël au scanner, Pâques au cimetière ». « Nous sommes tous dans le caniveau – notait Oscar Wilde – mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». Il y a le rire joyeux, expression d’une liberté intérieure, et le rire sardonique ou railleur. Le mot sarcasme vient du grec sarkasmos, qui signifie « rire amer » et du verbe sarkazein qui signifie « ouvrir la bouche pour montrer les dents », ou bien, au sens figuré « mordre la chair », comme dans l’ironie mordante. Ce rire-là est plus proche de la haine que de la joie, il éclate souvent en groupe pour produire de l’exclusion. « Le sarcasme est le bourreau toujours prêt au milieu de la foule » disait le philosophe Theodor Adorno. Et il émane en général d’un sentiment d’envie… frustrée, on revient à Lacan. L’hebdomadaire Le un décline aujourd’hui tous les genres et registres de l’approche du rire et de l’humour. Historique, avec Pascal Ory, médiatique et politique, et même littéraire. 

La dissertation sur l’humour tourne vite à l’anthologie des bons mots

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C’est le cas avec Pierre Assouline, qui annonce la couleur : « L’humour, ça ne s’explique pas ! » Selon lui, « Contrairement au comique, domaine assez limité puisqu’on n’en connaît que deux sortes : le comique de répétition et le comique de répétition, l’humour a d’innombrables facettes ». Et d’aligner ses vannes d’origine littéraire : « la définition de la psychanalyse par Vladimir Nabokov : Application de vieux mythes grecs sur les parties génitales. » Ou encore « Beckett dans l’une de ses pièces à deux personnages : « Quelle heure est-il ? – La même que d’habitude. » On sait qu’il y a deux grandes traditions : « l’humour juif, c’est comme l’humour allemand, avec l’humour en plus », et l’humour britannique, le non-sense. « L’humour anglais – disait encore Desproges – souligne avec amertume et désespoir l’absurdité du monde. L’humour français se rit de ma belle-mère. » Et pourquoi les Français aiment-ils tant les blagues belges – demandait Coluche ? C’est parce qu’elles sont faciles à comprendre… Plusieurs humoristes dévoilent dans ce N° de l’hebdomadaire les ficelles du métier. Pour notre consœur de France Inter Charline Vanhoenacker, le renouvellement récent de la classe politique est une catastrophe. « La perte de Christine Boutin ou de Jean-Vincent Placé est un drame pour les humoristes ! ». En attendant que les nouveaux personnages du petit théâtre politique prennent de l’épaisseur, laquelle « se gagne en disant ou en faisant des conneries », Charline « saute davantage sur les sujets de société – la start-up nation, le cannabis dans les vapoteuses ». Mais « un peu de patience, et il n’y aura bientôt plus qu’à se baisser pour ramasser ». L’humour, dit-elle « c’est aussi une catharsis. Quand tu fais une matinale radio, tu dois entrer en résonance avec une forme de vibration qui traverse la société. Les textes procèdent d’une mécanique assez précise, mais parfois les vannes vous paraissent si bonnes que vous vous efforcez de les injecter au chausse-pied. » La dernière livraison de la revue Humoresques explore les affinités du rire et de la bêtise. Nelly Feuerhahn brosse un large panorama des ruses de la naïveté pour dire sans dire, et transgresser les interdits en toute innocence. Un déni de réalité qui est aussi, en douce, un défi à l’ordre institué.

Par Jacques Munier