Découvert auTchad par Michel Brunet, le crâne de Toumaï est considéré comme celui du plus ancien ancêtre connu de l'Homme. Mais un ancien collègue accuse le paléontologue d'avoir "caché" l'existence d'un fémur, qui pourrait remettre en cause son statut de bipède. Michel Brunet répond à nos questions
Pour comprendre cette affaire et le vif débat qu’elle suscite, il faut revenir aux faits. En 2002, Michel Brunet et son équipe de l'Université de Poitiers publient dans la revue Nature la découverte du crâne de Toumaï, dont le nom scientifique est Sahelanthropus tchadensis, issu de fouilles menées au Tchad en 2001. La découverte fait grand bruit, car selon le paléontologue, la position du trou où s'encastre la colonne vertébrale suggère que cet individu était probablement bipède, ce qui en fait le plus ancien ancêtre connu de l'Homme. Dans cette publication et dans les suivantes, Michel Brunet défend cette thèse qui repose essentiellement sur l’étude du crâne de Toumaï, et ne mentionne l’existence d’aucun autre reste post-crânien, c’est-à-dire en-dessous du crâne.
Roberto Macchiarelli : "Ils se sont irrités de l'identification du fémur, ils l'ont ignorée ! C'est une fraude intellectuelle ! "
Pourtant, on a bien retrouvé aussi le fémur de Toumaï, qui pourrait permettre de trancher la question cruciale de la bipédie, affirme aujourd’hui Roberto Machiarelli dans un article publié dans la revue Nature. Cet anthropologue italien travaillait à l’université de Poitiers en 2001, au moment de la découverte du crâne de Toumaï. Bien qu’il n’ait jamais pris part à la mission au Tchad, Roberto Machiarelli affirme qu'il entretenait d'excellents rapports avec Michel Brunet jusqu'en février 2004. A ce moment-là, affirme Roberto Machiarelli, toute l’équipe de Michel Brunet est au Tchad, une étudiante en DEA, Aude Bergeret, le sollicite : dans le cadre de recherches sur l'environnement au Tchad il y a plusieurs millions d'années, elle a été autorisée à travailler sur plusieurs os, dont certains proviennent du site de Toumaï, et l’un d’eux lui paraît d’une importance capitale. C'est à ce moment-là, qu'ensemble, ils identifient ce qu'il sont certains d'être le fémur de Toumaï, affirme Roberto Marchiarelli.
Aude Bergeret et moi-même avons identifié un spécimen, qui n'avait pas été identifié comme fémur par la mission. C'était un morceau plutôt important, 25 cm, de fémur, un fémur gauche, qui, sans doute aucun, est pertinent : il a été récolté le même jour, à quelques dizaines de centimètres du crâne de Toumaï ! Ce fémur est capital, parce qu'il nous raconte la vraie histoire profonde du comportement locomoteur de Toumaï, c'est-à-dire son statut hominide ou pas !
Dans l’article qu’il a publié dans Nature, Roberto Macchiarelli demande donc que ce fémur puisse être étudié, pour pouvoir confirmer ou infirmer la thèse de la bipédie de Toumaï. Car depuis son identification, impossible de revoir ce fémur, s'insurge Roberto Macchiarelli, et Michel Brunet n’a jamais rien publié dessus. L'anthropologue italien affirme même que cette identification "surprise" lui a valu l’inimitié de Michel Brunet, et à Aude Bergeret, alors jeune étudiante, une placardisation qui l’a menée à abandonner la recherche. Aujourd'hui, il pèse ses mots.
Ils se sont irrités de cette identification, ils l'ont ignorée ! Et en 2005, quand ils ont mis à jour la liste des restes pertinents pour aborder Toumaï, il n'y avait toujours pas un mot sur le fémur, ce que je n’hésite pas à qualifier de fraude intellectuelle!
Michel Brunet: "ll est prévu de publier le fémur, mais je ne reconnais à personne le droit de me dicter le moment !"
L'existence de ce fémur sur le site de Toumaï a depuis été confirmée par la publication de photos prises le géographe Alain Beauvilain, qui fut l'un des premiers à avoir vu les restes de Toumaï, sur le terrain au Tchad en 2001. La question qui se pose aujourd'hui est : pourquoi ce silence sur le fémur de la part de Michel Brunet ? Le paléontologue, aujourd’hui professeur au Collège de France, est sorti de son silence, et a accepté de nous accorder un entretien, à écouter en version longue ici :
Michel Brunet répond aux mises en cause : "Oui, il y a un fémur!"
2 min
Il dénonce une polémique motivée essentiellement par la jalousie. Il nie avoir tenté de cacher le fémur. Et assure au contraire que même s'il ne l'a pas mentionné au cours de ces quinze dernières année, il a bien prévu de publier une recherche poussée incluant le fémur. S'il a préféré attendre, c'est selon lui parce que ce spécimen n'était pas d'assez bonne qualité. Par ailleurs, il avance qu'il n'y a pas de connexion anatomique évidente entre ce fémur et le crâne Toumaï, et refuse de considérer qu'il appartienne nécessairement au même individu.
Les deux épiphyses du fémur sont les plus informatives, chez l'Homme. Or, sur le fémur en question, ils ne sont pas conservés ! Que faire ? On a fait du terrain, et on a essayé de trouver quelque chose qui apporte plus d'informations ! La pièce qui est là est informative, mais il manque des choses essentielles. On a cherché à en savoir plus, c'est un crime de lèse-majesté ? Il est prévu de publier le fémur, ça viendra en son temps, et je ne reconnais à personne le droit de me dicter le moment !
"Toumaï est bipède, je le maintiens, envers et contre tous !"
A la question de savoir si l'étude de ce fémur peut remettre en cause le statut de bipède de Toumaï, Michel Brunet répond :
Le crâne est un crâne de bipède. Imaginons qu'en étudiant le fémur, on démontre qu'il est bipède, cela confirmera ma thèse. Mais si on l'étudie , et qu'on trouve qu'il n'est pas bipède, tout ce que ça voudra dire, c'est que ce n'est pas le fémur de Toumaï ! Parce qu'il est bipède, je le maintiens, envers et contre tous !
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