De l'Académie française au ministre de l'Education nationale, en passant par la Fédération des aveugles de France, l'écriture inclusive a de nombreux détracteurs. En cause : le point médian. Il ne s'agit pourtant que d'une des nombreuses façons d'introduire plus de féminin dans la langue française.
Reportage signé Valentine Joubin.
Emission présentée par Tara Schlegel.
"Le masculin l’emporte sur le féminin". C’est une règle de grammaire qui semble vieille comme le monde. Mais des enseignant.e.s, des chercheur.e.s, des écrivain.e.s et des responsables politiques ont décidé de la remettre en cause au nom de l’égalité entre les femmes et les hommes. Ils pratiquent ce que l’on appelle l’écriture inclusive. Un système d’abréviations, d’annotations imaginé pour donner une représentation égale des femmes et des hommes dans la langue écrite. Comme l’explique la linguiste Éliane Viennot, cela fait une quinzaine d’années que l'écriture inclusive est pratiquée en France, sans que l’on sache qui en est vraiment à l’origine. Il n’y a pas de brevet mais différentes pratiques. Qui sont les ouvrier.e.s de ce chantier linguistique ? Qu’espèrent-ils.elles construire en introduisant plus de féminin dans la langue ?
Le reportage de Valentine Joubin commence à la sortie des cours, devant le lycée Maximilien Perret d’Alfortville, dans le Val de Marne, un établissement situé dans un quartier populaire de cette ville de banlieue parisienne. Mounira, Christophe, Cléa, Océane et Inès sont en classe de seconde. Ils et elles parlent d’une règle de grammaire que nous avons toutes et tous apprise à l’école.
"S'il y a 100 femmes et un homme, ça compte comme masculin"
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Il y a déjà beaucoup de sexisme dans la vie de tous les jours donc si, en plus, le masculin l'emporte sur le féminin dans la langue française...Inès, élève de seconde.
Cette réflexion sur la place du féminin dans la langue, Inès et ses camarades l’ont entamée en classe, avec leur professeure de lettres, Françoise Cahen. Cette enseignante est également formatrice au rectorat de Créteil où elle mène des ateliers sur l’égalité filles-garçons.
Le masculin ne l'a pas toujours emporté sur le féminin explique Françoise Cahen à ses élèves de seconde.
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La langue, quand on l'enseigne, on l'aime. Il faut essayer d'en faire la plus belle chose possible. Quelque chose qui soit égalitaire, ce serait quand même beaucoup mieux.
Comment pratiquer une grammaire égalitaire ?
Dans un manifeste, publié au mois de novembre, Françoise Cahen et plus de 300 enseignants, proposent deux solutions. D'une part, la règle de majorité qui consiste à accorder un adjectif ou un participe passé avec le terme qui exprime le plus grand nombre. Ce qui donne par exemple, “les chouquettes et le pain au chocolat sont délicieuses.” La deuxième option proposée est la règle de proximité. Dans ce cas, l'accord se fait avec le dernier terme cité : "le pain au chocolat et la chouquette sont délicieuses". C'est cette méthode qu'a choisi Frédéric Seaux, patron de la maison d'édition Cogito.
Frédéric Seaux, éditeur normand, demande à tous es auteurs.trice.s d'appliquer l'accord de proximité.
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Les interrogations de l'académicienne Danièle Sallenave
“Un péril mortel pour notre langue”, c’est ainsi que l’Académie française qualifie l’écriture inclusive. Une déclaration officielle adoptée le 26 octobre dernier à l’unanimité des membres. L’académicienne Danièle Sallenave assume ce jugement, tout en estimant que la règle du masculin qui l’emporte sur le féminin pose problème.
Changer les règles grammaticales ? Oui, mais comment ? L'académicienne Danièle Sallenave s'interroge.
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Le point médian, point de crispation
Depuis plusieurs années déjà, le journal Le Monde a entamé un processus de féminisation des noms de métier et de fonction. Mais, depuis l'affaire Weinstein, ce travail a pris une dimension tout autre, comme le raconte Marion Hérold, la cheffe du service de la correction.
Marion Hérold, cheffe du service de correction du journal Le Monde, veut un débat "dépassionné".
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Le quotidien du soir expérimentera, dans le courant de l'année 2018, dans un de ses cahiers seulement, l'accord de proximité et/ou l'accord de majorité. Une conversion progressive à l'écriture inclusive.
D'autres médias ont choisi d'aller plus vite, comme le magazine en ligne Slate.fr qui pratique l'accord de proximité dans toutes ses rubriques. Les journalistes s'efforcent aussi d'utiliser des termes épicènes, des mots qui désignent aussi bien le masculin que le féminin, tels journaliste ou élève. En revanche, ni Le Monde, ni Slate n'emploieront, pour le moment, le point médian (citoyen.e.s), jugé trop clivant.
Une école d'ingénieur.e.s pour recruter plus de femmes
Pour rencontrer des adeptes du point médian, il faut pousser la porte des administrations publiques. Comme une dizaine d'autres collectivités locales, la ville de Fontenay-sous-bois, étiquetée Front de Gauche, a signé, en mai dernier, la Convention pour une communication publique sans stéréotype de sexe. Le guide pratique de la ville, les organigrammes, les affiches, mais aussi toutes les notes internes sont désormais rédigées en écriture inclusive, point médian compris.
Le Conservatoire nationale des arts et métiers de Paris, le CNAM, lui aussi signataire, a modifié en profondeur sa communication pour attirer plus de femmes. Depuis le mois de septembre, l'école d'ingénieurs est devenue école d'ingénieur.e.s.
A propos d'Alpheratz :
Le lien vers sa thèse
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