Comment le tourisme spatial rebat les cartes du ciel / Crise migratoire : le coût de la sous-traitance

L'équipage de la fusée New Shepard de Blue Origin (de gauche à droite) Jeff Bezos, Wally Funk, Oliver Daemen et Mark Bezos s'approche du booster pour prendre une photo après s'être envolé dans l'espace. Le 20 juillet 2021 à Van Horn, au Texas
L'équipage de la fusée New Shepard de Blue Origin (de gauche à droite) Jeff Bezos, Wally Funk, Oliver Daemen et Mark Bezos s'approche du booster pour prendre une photo après s'être envolé dans l'espace. Le 20 juillet 2021 à Van Horn, au Texas ©AFP - JOE RAEDLE
L'équipage de la fusée New Shepard de Blue Origin (de gauche à droite) Jeff Bezos, Wally Funk, Oliver Daemen et Mark Bezos s'approche du booster pour prendre une photo après s'être envolé dans l'espace. Le 20 juillet 2021 à Van Horn, au Texas ©AFP - JOE RAEDLE
L'équipage de la fusée New Shepard de Blue Origin (de gauche à droite) Jeff Bezos, Wally Funk, Oliver Daemen et Mark Bezos s'approche du booster pour prendre une photo après s'être envolé dans l'espace. Le 20 juillet 2021 à Van Horn, au Texas ©AFP - JOE RAEDLE
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Un nouvel accord a été acté mercredi dernier entre Londres et Paris qui entérine une politique très coûteuse d'externalisation aux frontières pour faire face à la crise migratoire. Mais avant cela, nous essaierons de comprendre comment le tourisme spatial rebat les cartes du ciel.

Avec
  • Ekrame Boubtane Economiste spécialiste des migrations internationales, maîtresse de conférences à l’université Clermont Auvergne (UCA).
  • Emmanuelle Rio Enseignante-chercheuse en physique à l’université Paris-Saclay
  • Lucien Rapp Professeur de droit à l’université Toulouse 1-Capitole, spécialiste des secteurs de l’aéronautique et du spatial, directeur scientifique de la Chaire Sirius
  • Jean-Claude Worms Directeur exécutif du Comité international pour la recherche spatiale (COSpAR)
  • François Gemenne Spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, enseignant à Sciences-Po et à la Sorbonne
  • Catherine Wihtol de Wenden Politiste, spécialiste des migrations internationales et directrice de recherche au CNRS (CERI-Sciences Po)

Première partie - Comment le tourisme spatial rebat les cartes du ciel 

Jeff Bezos s’inquiétait de la fragilité de la Terre au retour de son échappée dans l’espace à bord de sa capsule Blue Origin. Neuf jours plus tôt, c’était Richard Branson qui réussissait son premier vol à  bord du VSS Unity de Virgin Galactic, avion spatial suborbital, passant plus de 90 secondes en apesanteur. Au-delà des ambitions apparemment mégalomanes de ces figures, auxquelles il convient d’ajouter celle d’Elon Musk, que se cache-t-il derrière la notion de tourisme spatial, et plus particulièrement dans le secteur industriel ?  Comment l’émergence d’acteurs privés en Occident, mais aussi bientôt en Chine dessine-t-elle une nouvelle géopolitique du ciel ? Quel sera le rôle des Etats, mais aussi du droit pour encadrer ces voyages d’un nouveau type ? A quelles conséquences économiques mais aussi écologiques doit-on s’attendre à l’aube de cette nouvelle ère de l’exploration spatiale ? 

Avec Emmanuelle Rio, enseignante-chercheuse en physique à l’université Paris-Saclay, Lucien Rapp, professeur de droit à l’université Toulouse 1-Capitole, spécialiste des secteurs de l’aéronautique et du spatial, directeur scientifique de la Chaire Sirius et Jean-Claude Worms, directeur exécutif du Comité international pour la recherche spatiale (COSpAR)

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Les auteurs du Traité de l’espace ont conçu un projet qui consistait à proposer que l’espace était l’apanage de l’humanité tout en entière. Ils voulaient derrière cette formule dire que l’espace et son exploitation ne pouvait pas être le fait d’une poignée de nations. Ces entrepreneurs sont en train de rendre l’espace doublement accessible - techniquement et financièrement - , car n’oublions pas qu’ils ont divisé par 5 le coût des lancements. (....) Il faut avoir confiance en la capacité non seulement des ingénieurs et des techniciens à trouver des solutions techniques à des problèmes qui se présentent mais encore et peut-être surtout à la capacité des Etats à organiser un cadre réglementaire national et international qui soit adapté au cadre de la science.

Lucien Rapp

Il faut relativiser largement puisque même en divisant par 5 les prix, on est quand même à quelque chose qui reste très localisé sur les plus riches de la planète et donc une articulation entre une activité qui pollue beaucoup qui est centré vraiment sur les plus riches et qui justement ouvre l’espace à l’humanité.  On peut se poser la question de savoir si cet espace ne devrait pas rester "intouché"

Si on veut rester dans l’accord de Paris, il ne faut pas dépasser 2 tonnes de CO2 par personne par an et aujourd’hui un vol c’est 4 tonnes de CO2 par personne. Donc la généralisation des vols suborbitaux comme ils ont été fait la semaine dernière, ça veut dire qu'à chaque fois c’est chaque personne qui part dans l’espace qui brûle 2 années de ce qu’un humain a le droit de brûler pour rester dans les accords. (…) C’est extrêmement dangereux de généraliser ce genre de choses d’autant plus que quand on parle d’aller sur l’ISS ou sur la Lune, on est à 100 ans ou 200 ans de ce qu’on a le droit d’émettre comme CO2.

Emmanuelle Rio

Pour essayer de résumer, je suis pour la recherche et le développement économique et je suis contre Far West. Je pense qu’il faut éviter à tout prix qu’on soit dans une situation dans quelques années où l’espace extra atmosphérique, puis la Lune puis Mars puis le système solaire se trouvent être le nouveau Far West. 

Jean-Claude Worms

Choix musical : Ballaké Sissoko - Nan Sira Madi

Deuxième partie - Crise migratoire : le coût de la sous-traitance

Le personnel de la Border Force (BF) britannique ramène à terre un groupe de personnes supposées être des migrants, dont des enfants, trouvés dans la Manche au large de Douvres, à Douvres, Kent, Grande-Bretagne, le 22 juillet 2021.
Le personnel de la Border Force (BF) britannique ramène à terre un groupe de personnes supposées être des migrants, dont des enfants, trouvés dans la Manche au large de Douvres, à Douvres, Kent, Grande-Bretagne, le 22 juillet 2021.
© Maxppp - VICKIE FLORES

Après un net coup d’arrêt au début de la pandémie, la crise migratoire s’impose à nouveau avec une actualité pressante. Quelques chiffres éloquents : mardi, plus de 300 personnes ont escaladé la triple clôture métallique qui sépare le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla, et ce, malgré un accord avec le Maroc. Jeudi soir, un bateau transportant 45 migrants a coulé, dans les eaux grecques, au large des côtes sud de la Turquie, avec laquelle l’Union Européenne a pourtant aussi un accord. Lundi, c’étaient 430 migrants qui tentaient de traverser la Manche,  au large de Calais pour rejoindre le Royaume-Uni. C'était la journée d'un triste record qui a donné lieu à une entrevue entre Gérard Darmanin et son homologue britannique, et à un nouvel accord de coopération entre Londres et Paris pour surveiller la frontière.  Les pays européens et l’UE ont aujourd’hui plus de 400 accords de ce type, entre eux mais aussi avec d'autres Etats auxquels ils délèguent la gestion de leurs frontières, et même peut-être de leur droit d’asile. Se dessinerait-il un nouveau pacte européen pour l’asile et les migrations, qui miserait tout sur la logique d’externalisation ? Mais combien au juste dépense-t-on dans cette approche de la politique migratoire ? Est-elle seulement efficiente ? Quel est le coût de la sous-traitance ? 

Avec François Gemenne, spécialiste de la gouvernance du climat et des migrations, directeur de l’Observatoire Hugo à l’université de Liège, enseignant à Sciences-Po et à la Sorbonne, Catherine Wihtol de Wenden, professeure au CERI Sciences-Po, spécialiste des migrations et Ekrame Boubtane, économiste spécialiste des migrations internationales, maîtresse de conférences à l’université Clermont Auvergne, autrice de l’ouvrage « L’économie de l’immigration » paru en 2018 aux Presses Universitaires Blaise Pascal

Lorsque l'on prend en considération l’ensemble de  la dynamique économique, ce qu’on démontre c’est que l’immigration ne réduit pas le niveau de vie des Européens, ne contribue pas à la hausse du chômage, il y a un effet plutôt positif de cette immigration. (..) Si je prends particulièrement le cas des demandeurs d’asile, leur contribution est neutre les premières années mais une fois qu’ils ont accédé au statut de réfugié, leur contribution est aussi positive."

Ekrame Boubtane

La politique de fermeture et d’hostilité à l’asile n’a pas de rationalité économique. C'est une politique qui est strictement idéologique et en plus ne fonctionne pas et produit des drames à n’en plus finir aux frontières de l’Europe. 

François Gemenne

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