Joseph de Maistre ou l'excès réactionnaire

Portrait de Joseph de Maistre par Carl Christian Vogel von Vogelstein (1788–1868) au Musée d'Art et d'Histoire de Chambéry
Portrait de Joseph de Maistre par Carl Christian Vogel von Vogelstein (1788–1868) au Musée d'Art et d'Histoire de Chambéry - Wikimédia Commons
Portrait de Joseph de Maistre par Carl Christian Vogel von Vogelstein (1788–1868) au Musée d'Art et d'Histoire de Chambéry - Wikimédia Commons
Portrait de Joseph de Maistre par Carl Christian Vogel von Vogelstein (1788–1868) au Musée d'Art et d'Histoire de Chambéry - Wikimédia Commons
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Si ça ne va pas fort aujourd'hui, dites-vous que vous auriez pu être Joseph de Maistre.

En d'autres termes, vous auriez pu ne penser que des choses déraisonnables. Car de Maistre est souvent classé parmi les auteurs anti-modernes, anti-révolutionnaires, du XVIIIe siècle. 

Mais si de Maistre s'était contenté d'être gentiment réactionnaire, il ne mériterait pas d'être classé parmi ces penseurs de l'échec. En réalité, comme Cioran l'a brillamment montré, de Maistre s'est efforcé sa vie durant de ne rien penser de raisonnable, chacune de ses lignes, il s'est efforcé de les écrire outrées, injustes, caricaturales, et même, pour ainsi dire, folles. 

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Sa détestation de la Révolution française est particulièrement brillante parce qu'elle ne peut convaincre personne, elle n'est d'ailleurs pas faite pour convaincre, elle consiste uniquement en une performance de langage à visée cathartique. Puisque l'on ne peut pas restaurer la monarchie, alors il ne reste plus qu'à abîmer la révolution en parole - "tout est miraculeusement mauvais dans la Révolution française" écrit Joseph de Maistre, et celui-ci de poursuivre : "Il y a dans la Révolution française un caractère satanique qui la distingue de tout ce qu’on a vu et peut-être de tout ce qu’on verra".  

Le Pape trembla lorsqu'il apprit que de Maistre allait chanter ses louanges

De Maistre est une vraie malédiction pour les causes qu'il épouse : sa manière de les défendre est telle qu'il les disqualifie presque à coup sûr. C'est ainsi que le Pape trembla lorsqu'il apprit que de Maistre avait décidé de chanter ses louanges, il faut dire qu'il se souvenait des pages les plus délirantes que son son terrible avocat avait consacrées à l'Inquisition - "il ne peut y avoir rien de plus calme, de plus circonspect, de plus humain par nature que le tribunal de l'Inquisition".

Le maniement de l'hyperbole est ici porté à l'incandescence, avec un seul problème – se persuader que cet auteur n'est pas ironique, qu'il ne chante pas ces louanges pour prétendre l'inverse, à la manière de Montesquieu chantant les louanges de l'esclavage pour démontrer son inhumanité. 

Oui, mais voilà, nulle trace d'ironie chez de Maistre qui était un authentique possédé, l'excès est sa manière à lui d'écrire, toute nuance passerait à ses yeux pour du blasphème, d'ailleurs comme il l'avoua, "il n'existe pas de grand caractère qui ne tende à quelque exagération".

L’intérêt de de Maistre est de nous fournir un laboratoire du fanatisme, et de son échec : seuls les déjà convaincus peuvent devenir ses disciples, l'homme ne démontre rien, il assène, sa prose se contente de venger des causes, qui dans son cas d'espèce, avaient déjà été largement disqualifiées par le tribunal historique. 

Dans ses conditions, son agressivité ne dépassait pas le stade verbal, même lorsqu'il vantait les mérites de la violence, "je n'ai jamais pu comprendre ceux qui anathématisent la guerre – lâcha-t-il. Cet anathème est contraire à la philosophie et à la religion : ceux qui le prononcent ne sont ni philosophes ni chrétiens". 

280 caractères de trop

Parfois, on s'affole à l'idée que de Maistre aurait pu être contemporain de Twitter. Il aurait probablement repoussé les limites de la folie en 280 signes. Et puis on se rassure en disant que le troll espère trouver la formule définitive, de Maistre lui s’efforçait uniquement de penser contre lui-même... 

Et maintenant bonne journée puisque vous n'êtes pas Joseph de Maistre.

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