

Si ça ne va pas fort aujourd'hui dites vous que vous auriez pu être Swann, Swann amoureux.
Swann ou le fail amoureux
Dans Un amour de Swann, Marcel Proust, a percé le secret du fail amoureux : aimer une personne qui ne lui convient pas. Déjà aimer ce n'est pas simple, mais il y a pire, se retourner sur un épisode de sa vie et dire comme Swann, "Dire que j'ai gâché des années de ma vie, que j'ai voulu mourir, que j'ai eu mon plus grand amour pour une femme qui ne me plaisait pas et qui n'était pas mon genre".
C'est ainsi que la souffrance de Swann est la conséquence d'un malentendu, échouer en amour et aimer ce qui vous fait échouer. Car aucun amour de Swann n'est un amour heureux. Esthète, Grand bourgeois, Swann aime Vermeer, et c'est probablement parce qu'il aime ce peintre sincèrement qu'il ne parvient pas à terminer une étude qu'il lui a consacrée, commencée il y a bien longtemps. Mais justement Odette n'est pas Vermeer, voilà peut-être pourquoi Swann ose aller au bout de son amour.
Il fantasme cette femme plus qu'il ne la voit, alors qu'elle est malade, qu'elle a le teint verdâtre, il la compare à une peinture de Botticelli, parce qu'il aime beaucoup plus Botticelli qu'Odette. Si Odette se contentait de ne pas être de son genre, la situation serait presque banale, chacun peut magnifier par le désir un être ordinaire...
La jalousie comme fondement de l'amour
Or cette demi-mondaine considère elle aussi que Swann n'est pas vraiment son genre, ou bien d'ailleurs que cet homme ne lui suffit pas. Odette trompe Swann, le rend abominablement jaloux, malade même de jalousie. Pourquoi souffrir un peu quand on peut souffrir beaucoup ?
C'est parce qu'il est jaloux que Swann désire, comme l'écrit Proust, "certes Swann avait souvent pensé qu'Odette n'était à aucun degré remarquable, mais depuis qu'il s'était aperçu qu'à beaucoup d'hommes Odette semblait une femme ravissante et désirable, le charme qu'avait pour eux son corps avait éveillé en lui un besoin douloureux".
Le malheur amoureux en trois parties
Comme l'a expliqué le philosophe Nicolas Grimaldi, Proust a tout simplement découvert les lois du malheur amoureux. Un plan en trois parties qui permet, pourvu qu'on le suive scrupuleusement, de faillir à coup sûr : 1) on aime ce que l'on ne possède pas, 2) nous devons nos amours à nos souffrances, et nos souffrances à nos angoisses et enfin, 3) on cesse de désirer ce que l'on croit impossible de perdre.
Swann incarne la double peine en amour, aimer une personne qui n'est pas votre genre, et ne pas réussir à s'en faire aimer comme on voudrait qu'elle vous aime... Swann est un personnage déchu parce que cette femme lui fait perdre de vue ce qu'il aime véritablement, autrement dit l'art qu'il plaçait au sommet de sa vie, et à qui finalement il est infidèle... Et c'est peut-être cela d'ailleurs le crime véritable de Swann aux yeux de Proust, avoir placé quelque chose au-dessus de l'art, cette femme qu'il avait tant aimé, avec les "les joues trop maigres, les traits tirés, les yeux battus", lui qui était attiré par une "chair saine, plantureuse et rose".
Et maintenant bonne journée puisque vous n'êtes pas Swann.
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