Féminisme et réseaux sociaux : des liaisons dangereuses ?

En janvier 2021, de nombreux comptes de féministes avaient été suspendus par Twitter. Leur point commun : avoir demandé comment empêcher les hommes de violer.
En janvier 2021, de nombreux comptes de féministes avaient été suspendus par Twitter. Leur point commun : avoir demandé comment empêcher les hommes de violer. ©Getty - Joan Corominas
En janvier 2021, de nombreux comptes de féministes avaient été suspendus par Twitter. Leur point commun : avoir demandé comment empêcher les hommes de violer. ©Getty - Joan Corominas
En janvier 2021, de nombreux comptes de féministes avaient été suspendus par Twitter. Leur point commun : avoir demandé comment empêcher les hommes de violer. ©Getty - Joan Corominas
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Depuis la libération de la parole des femmes avec le mouvement #Metoo, le féminisme en ligne s'est déployé à travers de multiples usages des réseaux sociaux. Comment se caractérise ce militantisme et quelles sont ses limites ?

Avec
  • Josiane Jouët Professeure émérite à l’Université Paris 2 et membre du Centre d’analyse et de recherche interdisciplinaire sur les médias (Carism) de l’Institut français de presse
  • Claire Blandin Professeure à l'Université Paris 13.

Et ce soir on s’intéresse au féminisme et à son essor sur les réseaux sociaux : comment ces médias participent-ils à une nouvelle vague de militantisme ?  

Au-delà de la libération de la parole permise entre autres par le mouvement #Metoo, nous questionnerons l’impact des comptes sur Instagram et ailleurs, qui remettent le féminin au centre du jeu, de l’éducation sexuelle à la lutte contre les discriminations sexistes.  

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Qu’est-ce qu’être militante féministe aujourd’hui sur les réseaux sociaux ? Comment lutter sans s’exposer ? Comment garder la flamme sans tomber dans les pièges des réseaux ou de l’influence qui parfois pervertit ? 

Pour en discuter, nous recevons :

Elvire Duvelle-Charles, journaliste, réalisatrice, activiste et autrice du livre Féminisme et réseaux sociaux (Ed. Hors d’atteinte, février 2022),

Josiane Jouët, sociologue, professeure émérite à l’Université Panthéon-Assas Paris 2 et autrice du livre Numérique, féminisme et société (Ed. Presses des Mines, avril 2022),

Claire Blandin, historienne des médias, professeure des universités en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université Sorbonne Paris Nord. 

Une émission en partenariat avec Numerama. Retrouvez chaque semaine les chroniques de Marie Turcan et Marcus Dupont-Besnard.

Le militantisme féministe contemporain, un militantisme façonné par les réseaux sociaux 

Il y a toujours eu une médiatisation des vagues féministes, de la première vague liée à la lutte pour les droits civiques, à la troisième concomitante avec l’apparition d’internet, en passant par la deuxième vague autour des années 1960, associée au droit à disposer de son corps. 

Cette médiatisation prend une forme particulière :

« Toutes ces vagues se positionnent en réaction à l’invisibilisation des femmes qui est une invisibilisation de l’ensemble des minorités dans les médias de masse à toutes les périodes. (…) A chaque période, ces féministes vont essayer de trouver des médias alternatifs ou de créer leur propre espace médiatique pour sensibiliser progressivement les médias à leur cause », Claire Blandin, historienne des médias.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux provoquent une véritable explosion du féminisme en ligne en raison de leur grande accessibilité, si bien que de nombreuses femmes découvrent le féminisme à travers Instagram.  

« Certains des comptes apparus ces dernières années sont très importants car ils suppléent aux carences de l’éducation sexuelle dans les écoles en France. Pour les jeunes adolescentes qui suivent ces comptes, ce sont des espaces de libération de la parole et de sécurisation », Josiane Jouët, sociologue.

Réactivité, viralité, internationalisation : on retrouve toutes les caractéristiques des réseaux sociaux dans le militantisme féministe contemporain, qui aborde divers sujets (intersectionnalité, éducation sexuelle, défense des causes LGBTQ+, ...), tout en poursuivant le combat initié par les précédentes vagues, à travers la dénonciation du système patriarcal. Les réseaux sociaux permettent ainsi la libération de la parole des femmes, dans la lignée du mouvement #Metoo, d’une ampleur inédite dans l’histoire du féminisme. 

Cyberharcèlement, addiction, shadow ban… : le revers de la médaille 

A cause du cyberharcèlement inhérent aux réseaux sociaux, de nombreuses activistes féministes ont dû clôturer leur compte.  

« Sur Instagram, la violence est omniprésente. Elle n’est quasiment jamais sanctionnée quand bien même elle est condamnable par les nouvelles lois françaises. Ce sont des affaires hors de contrôle qui s’expliquent sans doute par la déshumanisation des personnes », Elvire Duvelle-Charles, journaliste, réalisatrice, activiste. 

Un cyberharcèlement qui vient parfois de l’intérieur-même du mouvement féministe, les guerres intestines étant particulièrement vives. Mais les principaux responsables n’ont pas changé avec les années :

« La majorité des attaques contre les féministes vient des hommes, des masculinistes, de la haine des femmes, des structures de notre société fondées sur la domination et l’oppression des femmes. Cela se retourne contre toutes les femmes, en particulier contre les féministes identitaires, les afro-féministes, les musulmanes, les lesbiennes, les transgenres », Josiane Jouët, sociologue.

Le caractère pernicieux des réseaux s’explique aussi par l’addiction à leurs plateformes et par la dépendance aux marques : 

« Il y a une exposition à la violence mais aussi une cage dorée qu’on s’est construite liée au marché de l’influence. (…) A partir du moment où l'on dépend économiquement de partenariats rémunérés, c’est le début de la fin, on dépend de l’algorithme et les conditions pour avoir un compte visible sont terrifiantes », Elvire Duvelle-Charles, journaliste, réalisatrice, activiste. 

Autres obstacles auxquels sont confrontées les féministes en ligne : les « raids », signalements massifs et concertés d’utilisateurs en vue de provoquer la fermeture d’un compte, et les phénomènes de « shadow ban » (ou « radiation douce ») opérés par les réseaux sociaux comme Instagram ou Twitter, qui restent à ce jour opaques sur leur politique de modération. Cette invisibilisation est à analyser à l’aune de l’importance de l’audience de ces réseaux :

« Si l’on veut être un média de masse, il faut accepter les règles du jeu économiques d’un média grand public et donc censurer sa parole pour qu’elle ne soit pas trop radicale et qu’elle soit acceptée par les annonceurs », Claire Blandin, historienne des médias. 

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