Géo-ingénierie : quand la Tech fait la pluie et le beau temps

L'ingénierie météorologique est déjà utilisée dans plus d'une cinquantaine de pays
L'ingénierie météorologique est déjà utilisée dans plus d'une cinquantaine de pays ©Getty - Martin Deja
L'ingénierie météorologique est déjà utilisée dans plus d'une cinquantaine de pays ©Getty - Martin Deja
L'ingénierie météorologique est déjà utilisée dans plus d'une cinquantaine de pays ©Getty - Martin Deja
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Si la maîtrise du climat apparaît comme un rêve ancien de l'humanité, les progrès technologiques associés à l'urgence de la crise climatique rendent les débats sur la géo-ingénierie particulièrement vivaces. Mais quels sont les risques inhérents à ces technologies ? Et qui en sont les promoteurs ?

Avec
  • Pierre Gilbert Auteur et consultant en prospective climatique à l'Institut Rousseau
  • Régis Briday docteur en histoire des sciences, post-doctorant au Laboratoire Techniques, Territoires et Sociétés du CNRS associé à l’université Paris-Est Marne-la-Vallée et à l’École des Ponts ParisTech.
  • Sofia Kabbej Chercheuse à l’IRIS, spécialiste des questions sociales et sécuritaires liées à l’énergie et particulièrement à la géo-ingénierie

Et ce soir nous allons voir comment la technologie peut faire la pluie et le beau temps en manipulant la météo et le climat. Des procédés tout droit sortis des récits de science fiction, qui s’invitent dans notre ciel pour faire pleuvoir des nuages, ou bien pour bloquer les rayons du soleil… C'est ce que l'on appelle la géo-Ingénierie.

Ce lundi 17 janvier 2022, des scientifiques du monde entier ont réclamé dans une tribune, la mise en place d’une gouvernance internationale sur ces pratiques. Des pays comme la Chine ou des milliardaires de la Silicon Valley s’y intéressent de près, en dehors de toute régulation.

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Comment définir ce techno-solutionisme censé nous sauver de la catastrophe climatique ? Quels sont les éventuels bénéfices et les probables risques induits par ces pratiques ?  Quid de l’importance et de l’enjeu de la géo-ingénierie dans les années à venir ?

Pour en parler nous recevons :

Pierre Gilbert, consultant en prospective climatique, chercheur à l'Institut Rousseau et auteur de Géomimétisme. réguler le changement climatique grâce à la nature (Ed. Les petits matins, 2020)

Sofia Kabbej, chercheuse à l’IRIS, spécialiste des questions sociales et sécuritaires liées à l’énergie et particulièrement à la géo-ingénierie

Régis Briday, historien des sciences, chercheur associé au CNAM, spécialisé dans l’étude des sciences et des politiques de l’atmosphère et du climat

Une émission en partenariat avec Numerama. Retrouvez chaque semaine les chroniques de Marie Turcan et Marcus Dupont-Besnard.

Géo-ingénierie et manipulation de la météo : une histoire ancienne

Le concept de géo-ingénierie est apparu et s'est diffusé au cours du 20ème siècle. En France, le terme a été défini en 2014 par un groupe interdisciplinaire de chercheurs réunis dans le cadre de l'ARP Agir : "L’ensemble des techniques et pratiques mises en œuvre ou projetées dans une visée corrective à grande échelle d’effets de la pression anthropique sur l’environnement.". Si la géo-ingénierie telle que définie ici, a pour but de lutter contre le réchauffement climatique, l'histoire de la géo-ingénierie est d'abord décorrélée de cet objectif. En effet, les premières expériences de manipulation du climat servaient un objectif militaire lors de la guerre de Vietnam, dans le cadre de l'opération Popeye : "Les américains ensemençaient les nuages pour faire pleuvoir sur la piste Ho Chi Minh et noyer la logistique Viêt-cong sous les boues de la mousson." explique Pierre Gilbert.

Aujourd'hui, ces techniques de manipulation du climat sont largement utilisées hors usage militaire : plus d'une cinquantaine de pays aurait recours à ce type de technologie pour favoriser les précipitations sur les zones arides ou empêcher la grêle et ses méfaits sur les cultures. En Chine, le Sky River Project, projet qui consiste à déployer cette technologie sur une grande partie du territoire chinois d'ici 2025 est en cours de développement. Et en France, certains agriculteurs auraient recours à ces pratiques, selon des travaux récents. Or, les risques associés à ces techniques ne sont pas encore clairement identifiés, comme l'explique Sofia Kabbej : "Malheureusement les études qui sont menées, pour savoir quel impact a la diffusion de ces iodures d'argent, elles sont réalisées par les entreprises qui vendent ces technologies.". Sont pointés du doigt notamment les effets méconnus et potentiellement néfastes du mélange entre l'iodure d'argent et les pesticides sur les sols et sous-sols.

La géoingénierie climatique et le rôle des acteurs privés

Mais si les techniques de manipulation de la météorologie sont aujourd'hui déjà largement répandues, la géo-ingénierie climatique qui consiste à agir sur le réchauffement climatique, apparaît quant à elle, beaucoup plus polémique. Au sein de la géo-ingénierie climatique, il convient de distinguer deux grandes catégories : une première qui regroupe toutes les pratiques visant à capter le CO2, avec un impact plutôt local, et une seconde catégorie regroupant toutes les techniques visant à agir sur les rayons du soleil, aux conséquences plus globales. Parmi ces techniques, l'une est notamment au centre de toutes les attentions : l'injection d'aérosols dans l'atmosphère qui s'inspire de l'effet des éruptions volcaniques pour refroidir le climat. Le projet ScoPex, mené par l'université de Harvard dont les premiers tests ont été repoussés en 2022, relève de cette technique controversée. Parmi les risques encourus, celui d'un brusque réchauffement de la planète en cas d'arrêt, explique Pierre Gilbert : "Si l'on fait ça pendant 40 ans, les gazs à effet de serre continueront à s'accumuler. Donc si l'on arrêtait d'un coup, la température augmenterait dix fois plus vite qu'elle n'aurait dû avec le réchauffement climatique. (…)."

Et derrière ces techniques de géo-ingénierie, l'on découvre des financements provenant d'entrepreneurs privés. Le projet ScoPex bénéficie par exemple du soutien financier de Bill Gates. Historiquement, les entrepreneurs privés ont largement contribué à l'émergence et à la diffusion des techniques de géo-ingénierie, notamment en participant à la réalisation de rapports et d'études sur le sujet. Aujourd'hui, d'autres acteurs privés se mobilisent pour généraliser les techniques de captage de CO2 : les entreprises pétrogazières. Mais leur implication est logique, selon l'historien des sciences Régis Briday : "Certes, les entreprises pétrogazières doivent verdir leur image (…). Mais il y a une autre raison à cela, le secteur pétrogazier a les compétences : il a les compétences notamment pour réinjecter le CO2 dans le sous-sol. Ce sont ces entreprises qui extraient le gaz et le pétrole depuis des décennies, elles connaissent extrêmement bien le sous-sol", rappelle-t-il.

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